jeudi 5 juillet 2018

La révolte d'un zèbre

Bonjour à tous !

Après quelques semaines difficiles tant physiquement que moralement, je vous propose un texte que j'ai écrit à l'origine pour m'aider à canaliser la colère et la frustration qui m'habitent, et qui finalement s'est transformé en un témoignage de la difficulté qu'il peut y avoir à vivre la douance, à être ce que certains appellent un zèbre.

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Etre un zèbre, pour moi c’est avant tout être seule. Seule, sans soutien, incomprise, mal jugée et surtout impuissante à faire entendre ma voix ou communiquer ma détresse.

Avez-vous une quelconque idée de combien il est difficile de vivre dans ma peau ? De recevoir en permanence des tonnes de stimuli hors sujet ? D’être agressée par les bruits, les lumières, les odeurs, les situations ? D’être constamment assaillie par de virulentes émotions qui, si vous n’arrivez pas à les canaliser, finissent par déferler en vagues violentes sur vos interlocuteurs ?

Etre zèbre, c’est étouffer dans le cadre étriqué dans lequel la société nous cantonne, c’est dépenser une énergie folle à faire semblant pour ne pas se trahir ni aller au-devant des problèmes, c’est rêver d’un monde où l’on pourrait être soi-même en définissant ses propres règles, en s’affranchissant de ces mythes et récits collectifs qui sont censés fédérer toute l’humanité, mais ne font qu’accentuer le fossé qui nous sépare des normo-pensants.

Etre zèbre, c’est se sentir en décalage perpétuel avec le monde qui nous entoure, c’est être désespérément seule au milieu de la foule, au sein de sa famille, dans son couple. Et surtout, c’est voir le quotidien avec un regard que personne ne peut réellement comprendre et dont personne ne veut partager avec nous la gravité.

Etre zèbre, c’est aussi aligner les nuits d’insomnie parce que le cerveau ne veut pas arrêter de fonctionner, parce qu’en parallèle de la musique qui tourne en boucle et des images sans rapport qui défilent, il y a aussi des idées et des souvenirs qui circulent, des doutes, des réflexions et des commentaires. Sur le passé, sur le présent, sur l’avenir.

Etre zèbre, c’est porter un regard lucide sur les hommes et les événements, mais c’est aussi être fidèle à ses principes. Nous mettons donc le doigt là où ça fait mal et nous nous attirons les foudres de tous ceux qui ont depuis longtemps connaissance du problème mais qui, pour des raisons totalement incompréhensibles, s’accommodent de semi-vérités, de certitudes bancales, et n’affectent qu’une honnêteté de façade.

Chaque jour, je me tiens au milieu de mes collègues de bureau qui plaisantent et rient à gorge déployée de choses qui ne sont pas drôles, qui discutent avec sérieux de sujets futiles ou frivoles, et qui essaient tant bien que mal de créer une pseudo-camaraderie à grand renfort de jovialité consensuelle et de confidences factices. Je me tais, je supporte leurs braillements et leurs gesticulations puis, quand j’ai mal à la tête (ou aux oreilles), je finis par retourner dans mon bureau et fermer la porte. Parfois, je ne sors pas du tout et la pause café disparaît, à l’instar de la pause déjeuner. Bien entendu, ce comportement est jugé inapproprié par certains collègues qui me reprochent de ne faire aucun effort pour entrer dans le moule et développer le team spirit.

Ainsi donc, il est acceptable, voire même bien vu, de gueuler sur ses subordonnés ou de quitter une réunion en claquant la porte, par contre le moindre mouvement d’humeur de ma part est perçu comme inadmissible, voire sujet à remontrances. Les handicapés moteurs et les femmes enceintes sont traités avec bienveillance et compassion - dans un service quasi intégralement masculin, vous pouvez aisément imaginer le redoublement d’attentions qui survient lorsque l’une de mes collègues enceintes esquisse ne serait-ce qu’un geste - mais le zèbre, lui, est inexcusable. Il faut dire que son handicap ne se voit pas. Oui, j’ai bien dit « handicap » car être perpétuellement sur le point d’exploser s’apparente pour moi à un handicap.

Il n’empêche que le zèbre est in-ex-cu-sa-ble : il est trop fragile, il pense trop, s’écoute trop, il s’inquiète pour rien, se fait des nœuds au cerveau. Et bien non ! C’est précisément l’inverse : il en crève, de ne pas assez s’écouter, de prendre sur lui pour se fondre dans la masse, de lutter en permanence pour se conformer aux us et coutumes des normo-pensants qui ne sont tout simplement pas câblés comme lui. Il souffre profondément de cette tiédeur du quotidien, de cette mollesse de la société, et de cette image d’adolescent rêveur et indiscipliné qui lui colle à la peau et le stigmatise. Il souffre de sa propre incapacité à affirmer qui il est, et parfois même, avant d'en arriver là, de son incapacité à se comprendre et à s’accepter, dans ses atouts comme dans sa fragilité. Il souffre de sa révolte continuelle, de ses émotions envahissantes, ainsi que de son impitoyable perfectionnisme qui le fait minimiser ses victoires et douter de leur pérennité.

Mais par-dessus tout, ce dont il souffre, ce n’est pas la posture accusatrice de son entourage, ce n’est pas ce mur d’incompréhension qui se dresse quotidiennement entre lui et les autres, et ce n’est pas non plus parce qu’il a continuellement conscience du temps qui passe et de la Mort qui fauche*. Non, ce dont souffre le zèbre, c’est de son éternelle solitude, cette solitude qui ne le quitte pas d’une semelle et s’attache à tout ce qu’il entreprend.


* Ceci est une référence à un proverbe breton bien connu : An amzer a dro, an Ankou a skò (Le temps passe, la Mort fauche) An Ankou est depuis mon adolescence un fidèle compagnon de route qui n’est jamais bien loin et que j’aime à faire intervenir dans la quasi-totalité de mes écrits.

lundi 30 avril 2018

La revanche de l'Ankou - Partie IV (French-speakers only)

AR KARRIG GWENN AN ANKOU
Par Camille Saint-Martin



L’abbé Lefur avait passé toute la nuit à prier : la conversation de la veille ne lui avait guère laissé de repos. En fait, la peur commençait à s’insinuer en lui et sa foi chancelante n’arrivait pas à supporter de telles émotions. Pire encore, il en venait à douter du pouvoir divin. Il n’osait pas encore se l’avouer, mais l’irruption du sataniste fou avait semé une terreur inconnue en lui. Agenouillé devant l’autel, les mains sur le dos de son prie-Dieu, il songeait à la malédiction dont il était maintenant l’objet.

«  C’est incompréhensible ! Comment un émissaire de Dieu pourrait-il être maudit par un mortel ? Comment peut-on être à ce point entiché de l’Ankou ? Tout le monde sait bien que le pouvoir de Dieu est supérieur à celui du royaume des ombres. »

Il s’arrêta puis, à mi-voix, après maintes hésitations, ajouta : « A moins que… » Malgré tous ses efforts pour se convaincre, sa confiance en Dieu s’effritait et il décida de sortir. Mais passé la porte, qu’adviendrait-il de lui ? il se rassura en se relevant : « de toute façon, il est dit dans la Bible que Dieu ramène toujours à l’étable les moutons égarés. Il me pardonnera ma frayeur. »

A peine eut-il franchi le seuil de la porte qu’un éclair fulgurant venu du Ciel le traversa de part en part, le souleva au milieu d’un halo lumineux et le plaqua contre le mur de l’église. L’abbé s’effondra foudroyé, et seule demanda une longue traînée de sang noir, unique vestige de la malédiction diabolique qui venait de prendre corps, du paroxysme de la vengeance et du triomphe éclatante et splendide de Satan.

La vengeance de l’Ankou continuait son œuvre inexorablement.

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Cette nouvelle s'achève ainsi. Vous aurez la possibilité dans le futur de retrouver certains de ces personnages dans un contexte analogue mais avec un scénario légèrement plus élaboré. J'espère que vous avez apprécié cette lecture et je vous dis à bientôt pour de nouvelles aventures !

vendredi 27 avril 2018

La revanche de l'Ankou - Partie III (French-speakers only)

AR KARRIG GWENN AN ANKOU
Par Camille Saint-Martin


Au matin, Mme Lebras, s’inquiétant de ne pas voir descendre son mari à déjeuner, monta chez lui. Elle frappa mais personne ne lui répondit. Quelle ne fut pas sa surprise quand elle s’aperçut que monsieur était encore couché ! Et quelle ne fut pas celle de leurs gens lorsqu’ils entendirent crier madame. Et il y avait de quoi ! Dans la pièce sombre aux rideaux tirés, on ne voyait guère que les quelques lueurs blafardes qui traversaient les persiennes. Mme Lebras, en entrant, en fut l’involontaire victime. Elle s’approcha de son mari, s’agenouilla près de son lit et, le voyant assoupi, posa un doux baiser sur son front. Il était glacé ! Effrayée, elle se précipita, ouvrit les rideaux et découvrit monsieur convulsionné, pâle. Ses grands yeux ouverts regardaient dans le vide et un filet de sang noir s’écoulait de sa bouche. De sa main crispée s’échappait une lettre. Madame s’en empara, la parcourut rapidement des yeux, pâlit et s’effondra à son tour.

La bonne, Marie, se précipita chez Mademoiselle pour lui annoncer la mauvaise nouvelle mais elle recula d’horreur : il semblait en effet que cette dernière avait subi le même sort que ses parents. Alertés, tous les domestiques se réunirent dans la chambre de leurs maîtres et la lettre passa de main en main. On fit venir le médecin de famille et il fut établi que les défunts avaient succombé à une crise cardiaque, à l’exception de la fille qui s’était visiblement donné la mort en ingérant une forte dose de poison.

***

Les émotions de la soirée ne l’avaient guère laissée en paix, et lorsqu’elle s’était couchée, ne trouvant pas le sommeil, la jeune fille avait envoyé quérir sa Bible. Et là, comme Saint Pierre, elle avait renié sa foi. L’état d’extrême anxiété dans lequel le jeune homme l’avait menée dépassait toutes les attentes, toutefois elle ne pouvait repenser au jeune sataniste sans que dans son cœur un peu de tendresse ne se mêlât à sa bonté naturelle. Le tatouage en particulier l’obsédait. Du bout de sa plume elle le grava dans le bois de son lit, et au bout de sa vie elle le grava à jamais dans son cœur.

Mais soudain, elle eut honte de sa conduite. Elle hésita, se demanda s’il ne valait pas mieux suivre le chemin éternellement routinier prescrit par l’Eglise. «  Mais non ! C’est encore une fois par le fanatisme que le bât blesse. » Elle avait compris que sa religion l’avait menée beaucoup trop loin. Elle aurait tant aimé revoir ce jeune homme qui lui avait si bien ouvert les yeux. A bien y repenser, sa terreur était injustifiée ; d’ailleurs elle n’osait s’avouer que la vue de ce garçon si bien fait, son air à la fois altier et révolté, si naturel et si mystérieux, son intervention obscure, la malédiction proférée avec autant de gravité que si elle se fût exhalée d’une tombe, ne l’avaient pas laissée indifférente. Elle savait maintenant : elle l’aimait, et elle allait suivre sa voie ! En laissant tout tomber, elle vivrait de méditation et de messes noires, en bon disciple.

Elle balança avec humeur sa Bible dorée qui alla atterrir dans la cheminée où, par chance, le feu était éteint. Lorsqu’elle se ravisa, sa pensée vagabonde avait déjà fait trop de dégâts : « Qu’ai-je donc fait ? J’ai renié, j’ai blasphémé, j’ai maudit le Seigneur mon Dieu qui ma vue naître, et sans lequel je ne peux pas vivre ! Je ne mérite pas le Paradis, je ne mérite même plus de vivre. » Elle regretta ses actes mais sa sincérité était ailleurs. Son cœur aussi. Une phrase lui revint : « Le temps s’était arrêté, emportant avec lui les cris d’un nouveau-né, la vengeance divine et l’ultime plaisir d’une messe noire. » Cette phrase revenait sans cesse, l’obsédait. Elle souffrait de son incapacité à faire face aux situations les plus inextricables, mais aussi de ce début de cœur brisé que ressentent parfois les amoureux lorsqu’ils sont trop heureux, cette envie de pleurer qui vous prend, vous entraîne dans son tourbillon, cette fatalité qui vous précipite sur le roc avec une force à fendre le granit… Ne sachant quoi faire, une seule et unique échappatoire lui apparaissait : mettre fin à ses jours.

Elle alla à sa commode préférée et ouvrit un petit tiroir secret avec une clé qu’elle portait toujours en son sein. Elle en sortir une fiole verdâtre que jusque là elle avait toujours jalousement conservée. Cette fiole, quoiqu’un peu poussiéreuse, avait préservé sa couleur d’origine, un mélange de vert ancien, de bleu azur et de jaune-orangé ; une perle en guise de fermoir ; plus bas, sous le goulot miroitait une bague en argent sertie d’une autre perle, plus petite cette fois. Cette bouteille était d’une simplicité et d’un raffinement exquis, mélange de colère, de résignation, de honte et de tristesse. De l’autre côté était gravé un mot qui avait dû être recouvert d’argent pur, mais n’en apparaissait que plus pâle à présent : POISON.

lundi 23 avril 2018

La revanche de l'Ankou - Partie II (French-speakers only)

AR KARRIG GWENN AN ANKOU (suite)
Par Camille Saint-Martin


Face à toute cette agitation, le jeune homme ne bougeait pas, un sourire narquois aux lèvres. Enfin, le maître de maison se releva et, avec une terreur mal dissimulée, lui dit :

- Allez-vous en, monsieur, vous en avez assez fait pour aujourd’hui. Et ne vous avisez plus de remettre les pieds ici. Mon salon est un lieu d’échanges censés et non un rendez-vous de satanistes fous !

Le jeune homme éclata de rire et répondit :

- Ne cherchez pas à vous donner une contenance, vos mains tremblent. Vous êtes terrorisés et il y a bien de quoi. L’Ankou rôde parmi vous et personne ne sait derrière qui elle se cache ; peut-être votre fille s’est-elle sentie visée par mes paroles et a préféré jouer la comédie pour s’éviter la haine paternelle. Peut-être est-ce en la personne de votre femme ou de l’abbé qui aurait retourné sa croix, ou bien peut-être même de vous, que le Diable se cache. Pourquoi n’auriez-vous pas invité une foule dans vos appartements pour mieux les entraîner dans un cercle diabolique ? Mais, pardonnez-moi, je divague et je m’emporte. En tous les ca, vous particulièrement, monsieur, êtes maudit et avec vous toutes votre famille et vos amis, et la Terre entière ! Ha ha ha, vous aviez mésestimé le pouvoir de l’Ankou et elle déteste que l’on se moque d’elle. Maintenant elle veut se venger. Non, mademoiselle, ces larmes sont inutiles, il n’est plus temps de vous lamenter, elle sera là d’un instant à l’autre. Vos ancêtres l’ont subi avant vous : à vous maintenant de connaître le châtiment suprême ! Sur ce, je vous laisse à votre triste sort !

Il salua, découvrant un peu plus son étrange tatouage, et sortit. La panique s’était définitivement installée dans l’assistance et ce départ ne soulagea personne.

De retour chez lui, l’obscure prophète s’enferma dans son cabinet, s’assit à une superbe table Louis XVI sculptée et dont le dessus était orné de cuir noir bordé de dorures, superbe à l’image de ses appartements, et penchant sa mignonne tête brune, se mit à écrire comme si de rien n’était. Il n’avait pas quitté son crucifix et songeait, la plume au doigt, à ce qu’il venait de faire. Non, il fallait qu’il se justifie, sinon les victimes allaient le prendre pour un fou. L’effet de son discours serait alors raté et ces dernières recommenceraient à se moquer de l’Ankou dont il voulait faire respecter la justice, seul garante sur Terre.

Certes, sa conduite était indigne, il s’était emporté, mais comment aurait-il pu autrement supporter l’infâme description du plus merveilleux maître qui existât à ses yeux ? « La plus infâme, stupide et satanique créature du Diable. » Ces mots lui revenaient sans cesse à l’esprit, aggravant à chaque instant la profonde blessure qu’avaient fait ces insultes, autant à son amour-propre qu’à l’Ankou elle-même. Les idées se bousculaient dans sa tête. Quelques bribes de catéchisme lui revenaient, de temps à autre, et il pensait : « encore une invention de gens qui n’envisagent qu’une facette de la vie qu’ils proclament arbitrairement le Bien, et qui pensent que le reste ne vaut pas la peine d’être vécu car c’est le Mal. Comment peut-on être assez crédule pour croire des âneries sans être sûr qu’elles soient, ou bien véridiques, ou bien le contraire de la réalité des choses ! »

La nuit tombait, la lune projetait des lueurs blafardes sur les murs et éclairait son front d’écolier appliqué à une page d’écriture. La flamme de la bougie chancela puis s’éteignit, mais il continua sa lettre, semblant peu préoccupé par son environnement. Lorsqu’il se redressa il faisait nuit noire ; tout était sombre et seul son tatouage luisait dans l’obscurité. Machinalement il se leva, cacheta son message qu’il alla glisser sous la porte de son ancien hôte. Quoique la distance entre les deux fût négligeable, il prit le temps de flâner dans quelques rues avoisinantes en contemplant les crêtes sombres du Mont Frugis qui se profilaient au loin. Puis il rentra.

vendredi 20 avril 2018

La revanche de l'Ankou - Partie I (French speakers only)

Bonjour à tous ! 

En faisant un peu de tri dans de vieux papiers, j'ai retrouvé une nouvelle que j'avais écrite au lycée et qui s'intitulait Ar Karrig Gwenn an Ankou (La Charrette Blanche de la Mort). J'étais alors en seconde et j'écrivais en cachette, dissimulant les pages manuscrites sous mes devoirs chaque fois que ma mère traversait la cuisine.* Je griffonnais également des Faucheuses un peu partout dans mes cours et je dois reconnaître que ce personnage mythique me faisait forte impression.

J'ai ressenti quelque chose de troublant en relisant ces pages noircies de cette écriture ronde qui caractérise mon adolescence. Il y avait certes de la nostalgie et une pointe d'attendrissement. Mais il y avait aussi de l'étonnement et de l'admiration, car déjà à l'époque mon langage était soutenu, émaillé de mots précis et recherchés, le tout fondu dans un récit mêlant passé simple et imparfait du subjonctif. Les fautes d'orthographe étaient rares et la syntaxe respectée (dans les extraits qui suivent, je me suis limitée à rectifier l'orthographe). Il faut dire que je lisais beaucoup et que si l'on ne m'avait pas répété x fois d'éteindre la lumière et de dormir, j'aurais lu des nuits entières.

Autant vous prévenir de suite, cette nouvelle est inachevée : j'ai suivi une inspiration soudaine, quelques temps après j'ai ajouté un chapitre, et rapidement je suis passée à autre chose : j'étais adolescente. Comment aurais-je pu imaginer à l'époque la place incontournable qu'occuperait l'écriture dans ma vie d'adulte ? Je tenais un journal intime, c'était amplement suffisant !

Néanmoins, je n'ai jamais oublié cette nouvelle, parce que c'était ma toute première et qu'il me semblait que l'idée générale, quoiqu'un peu naïve compte-tenu de mon âge, mériterait d'être approfondie, retravaillée, et pourquoi pas convertie en un roman fantastique (il s'agit d'ailleurs d'un projet en cours). Aussi ai-je décidé de la partager avec vous, en plusieurs articles, et en troquant pour une fois mon identité de bloggeuse pour mon nom d'auteur.

Bonne lecture !

*Maman, je sais que tu me lis : il y a prescription maintenant ! :-)

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Ar Karrig Gwenn An Ankou
par Camille Saint-Martin


« - Et ainsi, je n’ai jamais pu savoir laquelle des deux était le plus coupable : ma femme, ou l’Ankou ! »

Tous s’esclaffèrent. L’idée que l’Ankou eût pu exister ne les avait jamais effleurés et ils s’en moquaient sans retenue. Seul un jeune homme brun, se tenant droit dans son fauteuil, dans un coin de la pièce, ne riait pas. La mâchoire serrée, il contemplait l’assistance d’un regard sévère et ne semblait pas du tout apprécier la conversation. De ses mains posées sur ses genoux s’échappait un crucifix pendu au bout d’une chaîne et qui, frôlant le sol, s’était bizarrement retourné, sans doute attiré par un magnétisme inconnu. Le maître de maison s’aperçut de cet abandon et invita le jeune homme à se joindre à eux en lui reprochant amicalement sa froideur. Ce dernier répondit :

- Veuillez m’en excuser, mais je ne comprends pas très bien ce jeu qui consiste à raconter des histoires personnelles dans le seul but de critiquer une divinité.

- Et quelle divinité ! répondit quelqu’un. La plus infâme, stupide et satanique créature du Diable !

- Permettez-moi de vous demander, monsieur, ce qui vous pousse à dire de telles insanités. Vous n’avez jamais dû vous retrouver face à face avec elle, vous !

- Pardonnez mes paroles maladroites, cher ami, mais n’est-ce pas là la clé de l’intelligence humaine, que de réfléchir et d’imaginer les choses abstraites de la métaphysique ? De plus, entre nous, qui a déjà vu l’Ankou ? Personne car l’homme triomphe toujours de…

Un vague murmure d’assentiment remuait la société, mais le jeune homme, blême de rage et se contenant, le coupa :

- Un instant s’il vous plaît ! Vous dites que l’homme triomphe toujours, mais... Que sont devenus vos ancêtres avant d’être portés en terre, sinon qu’ils l’ont vue, elle ?

Le trouble s’installa dans le salon. Que venait donc faire ici cette personne qui, osant défier l’ordre établi par la religion, proclamait ouvertement la supériorité diabolique et l’abaissement humain, et s’affichait aux côtés de l’Ankou ? Ses paroles jetèrent un froid dans l’assemblée et chacun commença à le regarder d’un air méfiant.
Le maître de maison brisa le silence :

- Je comprends votre idée ; cependant je pense, et chacun ici acquiescera en conséquence, que la mort n’est pas une fin en soi ; elle est le passage à un monde nouveau, un monde meilleur, pour ceux qui le méritent. Aussi n’est-ce qu’une image. Je me refuse toutefois à être si catégorique en disant : « la mort n’existe pas », mais j’affirme que la mort telle qu’on se la représente - cette faucheuse - ne saurait exister, sous peine d’être connue. Qui donc est invisible ? Je vous le demande ! ajouta-t-il en riant.

Son intervention suscita un regain d’admiration de tout le monde et fut saluée par un tonnerre d’applaudissements. Lorsque la faible voix du jeune opposant tenta de percer le tumulte général, ce fut en vain et celui-ci dut attendre la fin de l’ovation de son rival.

- Déplorable condition de l’ignorance ! Vous ne connaissez pas l’Ankou, et vous osez soutenir qu’elle n’existe pas ? Diable ! Pour qui vous prenez-vous ? ricana-t-il.

- Un peu de respect, jeune homme ! tonna un vieil homme.

- Laissez, laissez, je le pardonne, répondit le maître de maison calmement, ce garçon m’intéresse au plus haut point. Continuez !

- Merci, dit-il en regardant d’un air sournois le moralisateur qui lui lança des regards de haine et bouda. La société est ainsi faute qu’on ne sait jamais de quoi sera fait le lendemain. Tenez, prenons un exemple : la liberté d’expression est reconnue depuis 1789. Cependant, croyez-vous qu’elle soit appliquée ? Quand je vois les regards meurtriers que me lance ce monsieur, permettez-moi d’en douter. Et qui sait, peut-être y a-t-il quelque part dans cette ville un revanchard qui attend le moment propice pour me sauter à la gorge. C’est pourquoi, dans l’incertitude actuelle où nous sommes, n’affirmez que ce dont vous êtes tout-à-fait sûr. Vous connaissez la force de la vengeance humaine, mais votre cerveau limité n’est en aucun cas capable d’imaginer celle de la vengeance du Diable ! Vous qui n’êtes à l’abri de rien, prenez garde à vous car vous êtes maudits. L’Ankou rôde tout près de vous, et…

L’entretien fut coupé par le long soupir de la maîtresse de maison qui s’évanouit. Pendant que son mari et un abbé avaient toutes les peines du monde à la ranimer sous les yeux effarés de toute la compagnie, l’orateur écarta légèrement son chapeau, laissant entrevoir son front. Ce geste n’échappa point à la fille de la maison qui y aperçut un tatouage, blêmit, et s’évanouit à son tour, ajoutant à la confusion générale. Ce tatouage n’avait rien d’extraordinaire : d’encre noire brillante, il était formé d’un triskell, d’une faux et d’une croix renversée, le tout si finement entrelacé qu’il était quasiment impossible d’en distinguer les composantes au premier coup d’œil. Mais la demoiselle l’avait déjà aperçu sur la couverture d’un livre interdit qu’elle n’avait jamais osé lire, son éducation lui défendant de remettre en question sa religion première.

mardi 17 avril 2018

Faire-part de naissance de Yadamtissar // A short celebration for the birth of Yadamtissar

Bonjour à tous !

Après un début d'année particulièrement chargé, j'ai le plaisir de vous annoncer que mon premier roman, Yadamtissar, vient d'être transmis à mon éditeur. 

C'est l'achèvement d'un travail de longue haleine, l'accomplissement d'un récit vieux d'une dizaine d'années et qui n'attendait plus qu'une plume persévérante pour s'envoler, et c'est également le fruit d'un cheminement personnel profond qui m'a amenée à dépasser mes doutes et angoisses et à croire en mon potentiel artistique. Bien sûr, il me faut encore attendre le retour de l'éditeur concernant une éventuelle publication (mais je ne me fais pas beaucoup de souci car désormais, j'ai foi en la qualité de mon écriture).

Je vous tiendrai informés de l'avancée de ce projet en temps voulu, mais d'ores et déjà je me réjouis de pouvoir me remettre à travailler sur les prochains contes & romans qui, par la force des choses, avaient dû passer au second plan.

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Good afternoon everyone!

After a very busy start of year, I'm glad to announce that my first novel, Yadamtissar, has just been transmitted to my editor.

This is for me an achievement after so many efforts, the end of an story nearly 10 years old, a story which was just waiting for a tenacious pen to be born, and this is also the result of a personal journey which helped me overcome my many doubts and fears and made me believe in my artistic gifts. Of course I now have to wait for the editor to revert about its will to publish it, or not, (but to be fair I'm not worried as now I have faith in the robustness of my writing).

I'll keep you posted with the details of the publication, but I wanted you to know that I'm already focusing on other projects (fairy-tales and novels), some of which were already advanced but had to be pushed into the background due to the business of my schedule.

vendredi 16 février 2018

L'amour et le sexe sont-ils vraiment déconnectables ?


On m’a fait il y a peu la remarque suivante : « au 21e siècle, il serait grand temps de faire la différence entre sexe et amour. Les deux ne vont pas forcément ensemble. »

C’est vrai. Manifestement, les deux sujets sont déconnectables à loisir : moyennant finances, un sourire ravageur ou un bon baratin, on peut facilement avoir du sexe. Si le compte en banque est vide et le sourire peu engageant, le câble ou le Net permettront d’élargir le champ des possibles. Les bars et les boîtes offrent quant à eux diverses possibilités de rencontre, éphémères comme aventureuses. De nos jours, les tendances s’affirment et se revendiquent : plus personne ne montrera du doigt un homme qui aime les femmes… ni une femme qui aime les hommes, bien que dans l’imaginaire collectif, les deux situations ne soient pas tout à fait comparables. Plus récent, le phénomène des sex friends est également révélateur des nouvelles pratiques de notre société puisqu’il s’agit de retrouver l’un(e) de ses ami(e)s et de passer la soirée à échanger bons mots et fluides corporels !

Paradoxalement, le nombre de séparations n’a jamais été aussi élevé, et les parents célibataires sont presque devenus la norme. Quant aux célibataires « tout court », il semble qu’ils soient nombreux eux aussi, mais ils sont difficiles à localiser car toujours plus ou moins en relation avec quelqu’un.

La triste réalité est qu’à l’instar d’un certain libéralisme économique en usage outre-Atlantique, notre société se trouve progressivement gagnée par la mode de la « consommation affective ». On se rencontre, on se connaît, on se consomme, mais ensuite invariablement on se quitte, car le désir ne saurait remplacer l’amour véritable, celui qui crée le manque de l’autre, qui nous tient éveillé la nuit, qui donne naissance à autant de chaleur que de frissons et fait battre le cœur avec une intensité inégalée. Bref, cet amour naïf que l’on ne maîtrise pas toujours, qui se développe au moment où l’on s’y attend le moins - si possible de manière saugrenue -, qui nous pousse à nous couvrir de ridicule mais qui porte en lui, au fond, un délicieux goût d’absolu.

Aussi, je vous le demande : cette "banalisation" des relations sexuelles entre adultes consentants peut-elle vraiment nous aider à augmenter nos chances de rencontrer plus facilement cette personne si chère à nos yeux ? Cette personne auprès de laquelle la vie est si douce que pour rien au monde nous ne voudrions la quitter ? J'en doute fort : il semblerait bien qu’à l’heure du sexe facile, l’amour véritable n’ait jamais été plus difficile à trouver. Et dans ce cadre, je ne suis pas certaine que multiplier les conquêtes et aventures dans l’espoir de s’approcher d’un idéal plus ou moins bien délimité soit une solution vraiment constructive.

Car si effectivement le sexe peut s’acheter, le véritable amour, lui, ne s’achète pas. Il se donne résolument, tout entier, de manière désintéressée et en pleine lumière. Bien sûr, un tel amour est parfois pollué par un chouia de jalousie, un soupçon d’insécurité, une pointe de déception - personne n’est parfait. Mais il survit généralement aux épreuves de la vie, en raison même de la profondeur et de la sincérité qu’il porte en lui.

Est-il judicieux dans ce cas de déconnecter ainsi l’amour et le sexe ? Pour ma part, il s'agit d'une aberration car l’un ne va pas sans l’autre. L’amour constitue un pré-requis, un prétexte, pour aller plus loin et non l’inverse. Je ne peux accueillir un homme dans mes bras si je ne l’aime pas au préalable, car l’acte d’amour est par définition la concrétisation charnelle d’un attachement spirituel et intellectuel. La même règle s’applique à tous les contacts physiques, qu’ils soient fugaces ou plus appuyés. A contrario, que l’être aimé rentre dans la pièce et mon sang ne fait qu’un tour ; qu’il me regarde avec tendresse et mon cœur frémit de joie ; que sa main frôle la mienne et un délicieux frisson m’envahit. Ce n’est pas plus compliqué que cela : à mes yeux, l’excitation née du désir effréné de satisfaction personnelle ne pourra jamais rivaliser avec les sensations décuplées que l’on éprouve au contact de l’être aimé.



mardi 13 février 2018

Dans une vie antérieure, j'étais une Arabe...

Chers lecteurs, après plus de six mois passés à me concentrer sur la dernière ligne droite de mon roman (à savoir les nombreuses finitions ainsi que la relecture d'ensemble), me voici de retour sur ce blog ! Achever ce premier roman aura nécessité beaucoup de temps et d'efforts - dans un contexte professionnel plutôt chargé - mais néanmoins j'y suis arrivée et aujourd'hui, je suis sur le point de soumettre le manuscrit à un éditeur. Bien évidemment, vous serez prévenus dès lors que le roman sera publié, en deux tomes selon toute vraisemblance (l'intrigue est très fouillée...). J'ose espérer que mes prochains livres mettront moins de temps à voir le jour, dans la mesure où je dispose déjà de méthodes et de techniques.

Je vous avais promis des tonnes d'articles, et je vais m'y atteler ces prochains jours car je sens que vous êtes restés sur votre faim. En attendant, pour me faire pardonner mon long silence, je vous offre un petit texte sans prétention que j'ai écrit l'an dernier, quelques mois avant de repartir dans la Péninsule Arabique.

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Dans une vie antérieure, j’étais probablement une Arabe, plus précisément originaire des montagnes du Golfe Persique. Comment est-ce que je le sais ? Tout simplement parce que depuis l’enfance j’éprouve une fascination indescriptible pour ces terres écrasées par la chaleur, brûlées par le soleil, pour ce sol aride et ce cil bleu sans nuages, pour ces femmes drapées de noir qui grimpent le long des petits sentiers serpentant dans les montagnes, pour ces hommes prosternés au beau milieu du désert, face contre terre et yeux clos, pour cette chaleur étouffante et ce vent chargé de sable qui s’engouffre dans les ruelles sinueuses des villages traditionnels, ainsi que dans les moindres recoins des habitations aux fenêtres ornées de moucharabiehs. Mais ce n’est pas tout. Certes, depuis l’enfance, je collectionne les images de cet Orient que je convoite, le Yémen, Oman, les Emirats Arabes Unis… Mais depuis quelques années maintenant, je le parcours inlassablement dès que j’ai un peu de temps et de l’argent, et bien souvent je ressens non seulement des émotions intenses et profondes, mais aussi le sentiment d’être enfin de retour « chez moi » après une longue absence. Cette sensation est difficile à expliquer - et encore plus à justifier - quand on parle d’un lieu censé nous être étranger, mais je pense qu’il peut arriver à n’importe quel humain de la ressentir, ne serait-ce que lorsque le jour où il rentre avec joie et sérénité dans sa véritable maison, physique, matérielle, concrète, siège de sa vie passée et à venir, et berceau de sa vie de famille. Pour ma part, il s’agit plutôt d’un port d’attache spirituel, métaphorique, abstrait, mais la sensation est la même : puissante, enracinée, emprunte de plénitude et d’une joie profonde. C’est pourquoi je puis l’affirmer sans ambages : dans une vie antérieure, j’étais une arabe. (Camille Saint-Martin, été 2017)

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