La deuxième semaine de jeûne fut
à la fois plus complexe et plus simple : j’avais pris le rythme et même si
je luttais contre des aigreurs d’estomac qui me tenaient éveillée la nuit (j’ai
compris depuis que cela fait partie des effets secondaires potentiels du jeûne),
je ne souffrais que modérément de la faim et de la fatigue, y compris dans
les jours qui suivirent mon don de sang. Je me consacrais à ce moment-là aux
sourates Pré-Hégiriennes, c’est-à-dire aux sourates révélées entre 610 ou 612
et l’Hégire (en 622), qui traitent majoritairement du monothéisme, du Jugement
dernier et de la résurrection, et introduisent les piliers de la foi.
Avant toute chose, j’aimerais
clarifier la terminologie employée dans le Livre1 : le mot
« mécréant » n’y figure pas et est remplacé par
« négateur », plus proche de l’original arabe « kâfir »,
littéralement « celui qui nie ». Dans le texte, les mécréants à qui
l’Enfer est annoncé ne sont donc pas ceux qui de près ou de loin vivent à
l’Occidentale ou ne pratiquent pas la religion de la même manière que les
intégristes (qui se plaisent pourtant à mettre ce mot à toutes les sauces),
mais tout simplement les gens qui nient l’existence du Dieu Unique et combattent
directement ou indirectement l’Islam (cela peut passer tant par des affrontements
physiques que par des incitations à abandonner leur foi). Pour rappel, les attaques
envers l’Islam étaient nombreuses à l’époque dans le cadre d’une Arabie polythéiste ;
le message de Mohammed avait dès le début suscité de nombreuses oppositions, critiques
et révoltes, et certains clans s’étaient même concertés dans l’intention d’assassiner
le Prophète !
A peu près dix jours après avoir
commencé mon jeûne (soit huit jours après le début de Ramadan), j’avais achevé
la lecture de toutes les sourates rédigées avant l’Hégire, et j’avais également
remarqué que beaucoup de ces sourates contenaient des arguments récurrents :
- Dieu a créé tout ce qui nous entoure : le Ciel, la Terre, les arbres, les nuages etc. C’est Lui qui fait tomber la pluie, qui fait germer les plantes et sortir de terre les tiges, c’est Lui qui assure l’alternance du soleil et de la lune, le rythme des marées etc. Généralement, ces arguments étaient suivis d’une conclusion du type « ce sont pourtant des signes évidents pour ceux qui croient. »
- Il ne sert à rien de demander à Mohammed d’opérer un miracle pour prouver sa légitimité en tant que Prophète car les miracles viennent seulement de Dieu ; or Celui-ci n’a pas jugé nécessaire d’y recourir pour convaincre les Hommes de croire en Lui.
- Au jour du Jugement, Dieu punira sévèrement les négateurs et récompensera les croyants. Les premiers iront en Enfer où ils seront jetés dans un brasier ardent et se nourriront de pus et d’eau brûlante. Les seconds iront au Paradis où coulent de frais ruisseaux, où l’on se nourrit de fruits et de douceurs, où l’on est vêtu de soie et assis sur des coussins confortables, et où nos épouses sont belles et éternellement jeunes. Dieu seul connaît l’heure du Jugement et nul ne peut l’avancer ou la reculer d’une seule seconde.
- Avant Mohammed, de nombreux autres prophètes ont été investis de la même mission de transmettre le message divin et d’avertir les négateurs de ce qui les attend : Abraham, Noé, Moïse, Loth, Hûd etc. Pourtant les hommes se sont à chaque fois détournés d’eux et les ont trahis, trahissant par là-même leur Créateur. Alors la vengeance divine s’est abattue sur eux et ils ont été punis à la mesure de leurs péchés. En règle générale la ville ou le royaume en question ont été totalement détruits (dans le cas de Noé, il s’agissait même de la Terre entière).
J’ai trouvé la lecture des sourates mecquoises enrichissante quoique un peu répétitive. Je reconnais avoir été gagnée par moments par une certaine impatience en retrouvant page après page les mêmes arguments visant à convaincre les polythéistes de croire à la Révélation2. C'est peut-être simpliste, mais ceux qui ont été insensibles à ces arguments la première fois ne le seront-ils pas tout autant la deuxième ou la troisième fois ? S’ils ne se laissent pas convaincre par tel ou tel argument, c’est visiblement que pour eux les « signes évidents » ne le sont pas ! Mais si l’on tient compte du contexte historique de la Révélation, on voit bien que le ralliement à Mohammed n’a pas été immédiat et que chaque sourate n’était pas forcément destinée aux mêmes personnes ; car entre temps, la situation sociale, géographique ou historique avait changé et le besoin de rappeler les bases se faisait sentir. Aussi les phrases précédentes ne sont-elles pas à prendre comme une critique mais comme la remarque d’une néophyte qui avalait sans doute les pages un peu vite.
Bien que le Coran soit venu
confirmer les écritures datant d’avant la Révélation, la représentation de Dieu
dans les sourates mecquoises m’a semblé à la fois proche et éloignée de l’idée
que les gens du Livre se font de lui : on y trouvait à la fois le Dieu d’amour
et de miséricorde des Évangiles et le Dieu sévère et guerrier du l’Ancien
Testament. Le ton employé en ce qui concerne les négateurs était particulièrement
véhément, à l’image je suppose des attaques portées par ceux-ci contre le
Prophète et contre les premiers croyants. Les menaces de châtiment dans l’Au-delà
étaient elles aussi on ne peut plus claires, et je peux imaginer ce qu’ont
ressenti les habitants de La Mecque lorsque la Révélation leur est parvenue
pour la première fois.
Pour ma part, si un certain
nombre d’arguments faisant écho à ce en quoi je croyais déjà, l’approche dualiste
récompense/punition avait de quoi m'interpeller ; un peu comme si, pour gagner
le Paradis, il suffisait de soutenir mordicus deux ou trois croyances et d’adopter
deux ou trois pratiques rituelles. Et le cheminement vers la foi dans tout cela ?
Car si la foi « apparente » n’est que l’affaire de postures et d’actes
publics et peut se décider sous un coup de tête, la foi « intérieure »,
qui s’enracine dans le cœur du croyant et l’accompagne dans les pires épreuves,
ne se décrète pas ! D’ailleurs, il y est fait allusion dans le Coran lui-même :
la lecture et la méditation du texte sont recommandées (de préférence la nuit
où les conditions sont plus propices à la spiritualité) tandis que l’hypocrisie
est vivement condamnée, et pas uniquement dans les sourates mecquoises ! Compte
tenu du fait que le texte coranique a été révélé sur une période d’environ
vingt ans (entre 610-612 et 632), il y a fort à parier que l’hypocrisie n’a
jamais cessé d’être d’actualité (et qu’en dire de nos jours ?).
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1Traduction française de
Mohammed Chiadmi.
2Mon sentiment était lié
également au fait que les sourates étaient de longueur faible ou moyenne et que
par conséquent j’en lisais plusieurs chaque jour. Aussi retrouvais-je à
quelques pages d’intervalle des arguments qui avaient en réalité été présentés
devant les négateurs sur des périodes de temps allant de quelques mois à
plusieurs années.