Aujourd'hui, mon cœur me porte vers un film-documentaire actuellement en salle, nommé La Glace et le Ciel, réalisé par Luc Jacquet avec la coopération du glaciologue Claude Lorius. [1] Ce dernier, aujourd'hui âgé de 83 ans, est un précurseur des recherches sur la composition chimique de la glace en rapport avec sa datation. Ancien directeur du laboratoire de Glaciologie et de Géophysique de l'Environnement de Grenoble, il a reçu le prix Blue Planet pour l'environnement en 2008 et a coécrit un ouvrage paru en 2011 sur le titre "Voyage dans l'Anthropocène". [1] Luc Jacquet est quant à lui connu pour le très beau film La Marche de l'Empereur, sorti en 2006 et récompensé par un oscar. Il a par la suite réalisé Le Renard et l'Enfant (2007) et Il était une forêt (2013). C'est également le fondateur de l'association Wild Touch, qui utilise le cinéma et l'événementiel pour soutenir des programmes de conservation de la nature. [1, 2]
La Glace et le Ciel raconte comment Claude Lorius en est venu à prouver la relation entre la concentration en gaz à effet de serre dans l'atmosphère terrestre et les variations du climat ; en d'autres termes à démontrer l'influence néfaste de l'Homme sur l'équilibre de sa planète. L'histoire commence avec son premier hivernage en Terre Adélie, pour laquelle il s'embarque en 1955, à l'âge de 23 ans, sans vraiment savoir ce qui l'attend là-bas. Malgré des conditions de vie on ne peut plus difficiles, c'est le coup de foudre et au cours de sa carrière, il reviendra souvent en Antarctique dans le cadre de missions polaires françaises et internationales.
Ses premiers travaux ont permis de montrer la relation entre la température à laquelle la glace s'est formée et sa composition isotopique (qui renseigne également sur son âge) ; ainsi, à partir d'un échantillon de glace, il est possible de déterminer la température ambiante à l'époque où elle s'est formée. Or, la glace s'accumule sous forme de couches de neige qui se déposent successivement et gèlent ; la glace la plus ancienne se trouve donc à plus grande profondeur que la glace nouvelle, et un forage permet d'accéder à des échantillons de glace ancienne. L'épaisseur de la couche glaciaire en Antarctique atteignant par endroits les 2 km, les carottes récupérées et analysées ont permis de fournir l'évolution de la température ambiante moyenne sur une période allant de 150 000 à 800 000 ans. Mais cela ne s'arrête pas là. [3]
En 1965, Claude Lorius émet l'idée que chaque bulle d'air emprisonnée par la glace à une profondeur donnée constitue un témoignage de l'atmosphère que l'on pouvait respirer à l'époque correspondante ; autrement dit, que l'on peut déduire de la composition des bulles les évolutions passées du climat. Quelques années après, le verdict tombe : l'évolution de la température ambiante dans le temps suit la concentration en méthane et en dioxyde de carbone dans l'air. Et si ces variations de concentrations se sont produites naturellement - et excessivement lentement - dans les ères précédant l'arrivée de l'Homme, elles sont aujourd'hui très rapides et intimement liées à l'activité humaine. [3] La preuve est faite que l'Homme est en train de détraquer le climat.
Pour ses travaux, Claude Lorius a acquis une renommée internationale et reçu de multiples récompenses : le prix Humboldt en 1988, le prix Balzan en 2001, la médaille d'Or du CNRS en 2002, le prix Blue Planet en 2008 ; il a été promus Commandeur de la Légion d'Honneur en 2009 et Grand Officier de l'Ordre national du Mérite cette année. [3] Toutefois, au crépuscule de sa vie, il constate avec une certaine amertume que les conférences sur le climat se succèdent et que les efforts déployés sont insuffisants, et qu'il se trouve encore des personnalités pour mettre en doute le réchauffement climatique.
J'ai beaucoup apprécié ce film-documentaire : d'une part parce que les images sont magnifiques - nul besoin d'être allé dans des régions polaires pour les apprécier - d'autre part parce que le réalisateur a fait la part belle aux films amateurs tournés par les membres des expéditions et leurs anecdotes ; plutôt qu'un cours magistral, on est plongé dans le quotidien de ces hommes au métier peu commun et la leçon passe toute seule. Enfin, les faits historiques et scientifiques sont là, exposés avec rigueur et sobriété.
Sources