jeudi 4 mai 2017

Les lumières de haute mer

Depuis un certain nombre d'années, je suis devenue pharelandaise: plus précisément, j'ai rejoint la communauté qui s'est construite autour du site web Phareland, le site des phares de France. A l'occasion du vingtième anniversaire de la création du site, Alain, son fondateur et mon ami, m'a proposé d'écrire un petit texte en rapport avec la mer, les phares, la lumière etc. Le sujet était libre, aussi j'ai fait appel à mes souvenirs de vie en haute mer en évoquant la poésie que l'on peut y trouver la nuit, au près des torches et des monstres d'acier qui exploitent les gisements d'hydrocarbures.

Voici donc :

LES LUMIÈRES DE HAUTE MER


Pour moi, les phares ont toujours été indissociables de la mer. Cela tombe sous le sens dans la mesure où pendant des siècles, la navigation côtière n’a été rendue possible que par la présence rassurante de ces colosses de pierre signalant les dangers et veillant sur les intrépides qui osaient s’aventurer sur les eaux changeantes. Les phares font partie de notre quotidien, que nous vivions près des côtes ou au large. Ils sont un refuge dans l’obscurité, un repère dans l’immensité des ténèbres.

D’autres en parleront bien mieux que moi : je suis allée en mer, mais je ne suis pas marin. Du moins pas dans les faits, mais si vous entendiez ce que dit mon cœur chaque fois que je me trouve face à l’océan, vous pourriez vous poser la question. Mais revenons-en aux lumières dans la nuit.

Si dans le monde entier, les côtes sont jalonnées de lumières, vertes, blanches, rouges, à éclats ou à occultations, en haute mer aussi il y a des lumières, volatiles cette fois puisqu’il s’agit des flammes de torche des plateformes pétrolières. Tout comme l’on peut déterminer l’identité d’un phare suivant la nature et la couleur de son feu, on reconnaît en général une plateforme à la technologie et à l’inclinaison de sa torche.

Je sais que les gens de mer n’aiment pas trop entendre parler du pétrole, à juste titre, néanmoins j’ai croisé sur les bateaux de support et sur les plateformes un certain nombre de marins – capitaines, matelots, radios ou logisticiens, bien souvent des anciens de la marine marchande – qui avaient décidé de mettre leurs talents au service des industriels, et qui m’ont beaucoup appris au sujet des gens de la mer.

Ma première semaine de travail sur plateforme, je sortais toutes les nuits admirer les unités puissamment éclairées et aspirer l’air marin à pleins poumons. Quoique vieux et rouillé, ce monstre de béton et d’acier brillait de mille feux ; l’enveloppe de la nuit gommait ses défauts et lui offrait une seconde jeunesse. Je montais sur la plus haute passerelle pour contempler les équipements ronronnant en contrebas et avoir une vision panoramique de ce qui m’entourait. De là où j’étais je pouvais apercevoir la torche des sites les plus proches, tantôt vacillante, tantôt vigoureuse : tant qu’on la voyait, c’est que tout allait bien. Certains y verront un odieux symbole de la pollution engendrée par l’exploitation mondiale des hydrocarbures, néanmoins sa fonction première était de nous protéger. Et à l’instar du plaisir que l’on peut ressentir en contemplant la vivacité d’un chaleureux feu de camp, les flammes de la torche s’élevant dans l’obscurité faisaient naître en moi une douce quiétude.

Ce que l’on ressent en posant le pied sur une plateforme pétrolière dépend du type de site : le fracas des vagues qui se brisent contre les piliers de l’édifice quand la profondeur d’eau est faible, les incessantes et profondes oscillations de la coque, le roulis et le tangage lorsque des centaines voire des milliers de mètres nous séparent du fond de l’eau. J’ignorais d’ailleurs que l’on pût avoir le mal de mer sur une plateforme, compte-tenu de ses dimensions, néanmoins cela s’est vu, et il est vrai que par mauvais temps, nous nous sommes moqués de ceux qui avaient trouvé judicieux d’installer des fauteuils à roulettes dans les bureaux. Sur les bateaux de support, c’était différent : leur petite taille les prédisposait à suivre docilement la houle, et les nuits passées dans le confort de ma cabine furent les plus réparatrices de toute ma vie.

Il y a des choses que l’on ne vit qu’en mer, que seuls les gens de mer peuvent comprendre : l’attente parfois fébrile de la relève, l’étrange sensation de roulis quand on touche le sol après plusieurs mois à naviguer, les quarts de nuit où rien ne se passe mais où il faut néanmoins rester vigilent, la sincère camaraderie qui naît quand on traverse ensemble des coups durs, le ras le bol des nuits passées avec un ronfleur invétéré dans sa cabine, le collègue mal réveillé qui fait grise mine au réfectoire, et partout, la flotte : sur le pont, à l’horizon et dans le ciel.

C’est dans un tel contexte que j’ai découvert qu’à l’instar des lumières de la côte, les lumières des plateformes, qui témoignaient d’une présence humaine au beau milieu de l’océan, portaient en elles une poésie toute particulière.

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