mercredi 15 février 2017

Une expérience hébraïque (French-speaking article)

Au début de cette année, j’ai eu l’occasion de me lancer dans une initiative totalement inattendue : acquérir les bases de l’hébreu biblique. L’idée m’est venue par hasard, lorsque le pasteur de l’Eglise Réformée de ma ville a proposé une initiation pour ceux qui souhaitaient développer cette compétence afin, entre autres, d’être capable à terme de lire l’Ancien Testament dans le texte. « Encore une langue », me direz-vous, « n’en connais-tu déjà pas suffisamment ? Et qu’avais-tu besoin de t’encombrer d’une langue morte ? Le Grec ancien ne te suffit-il donc pas ? » Il y a du vrai derrière cette remarque, mais le fait est que j’ai vu derrière cette initiation une opportunité de dresser des ponts entre l’hébreu ancien et la langue arabe que j’apprends par ailleurs.

Car les ponts sont nombreux, sachez-le ! Ces deux langues possèdent chacun un alphabet qui provient d’une même origine, directe ou indirecte : l’alphabet araméen* (certains diront même l’alphabet phénicien, dont dérive l’alphabet araméen). Il est aujourd’hui communément admis que l’alphabet arabe dérive de l’alphabet nabatéen**, dérivant lui-même de l’alphabet araméen. L’alphabet araméen, non-cursif, aurait ainsi évolué pour donner entre autres une variante non-cursive, l’alphabet hébreu, et une variante cursive, l’alphabet arabe. Le tableau ci-dessous présente une comparaison des alphabets araméen, nabatéen, arabe, syriaque et hébreu, avec leur transcription phonétique en caractères latins (seules les 22 lettres « communes » à tous ces alphabets sont présentées).

Comparaison de six alphabets anciens (source : [1])

L’hébreu et l’arabe partagent également un certain nombre de particularités grammaticales ou orthographiques, sans parler du vocabulaire qui, en raison de la proximité géographique et des nombreux échanges entre les deux cultures, présente des similitudes troublantes.  Aussi ne serez-vous pas étonnés d’apprendre qu’elles se ressemblent, tant dans les règles d’écriture quand dans la grammaire ou le vocabulaire.

Voici donc le premier d’une série d’articles consacrés aux ressemblances entre l’hébreu ancien et l’arabe, qui paraîtront au fur et à mesure de mon apprentissage. Je peux d’ores et déjà souligner plusieurs points de convergence ou divergence :
  • L’hébreu s’écrit de droite à gauche (tout comme l’arabe) et comporte 22 lettres (contre 28 pour l’arabe), qui sont presque toutes des consonnes. Un système de vocalisation de l’hébreu, développé par des moines massorètes au Moyen-âge dans le but de figer la prononciation des textes sacrés, permet d’indiquer comment prononcer les syllabes, en adjoignant des symboles aux consonnes (à l’aide de signes dits diacritiques). La langue arabe fonctionne sur le même principe (les poèmes ainsi que le Coran sont vocalisés), mais ne compte que 3 voyelles brèves, a, i et ou (qui peuvent être allongées au besoin) ; l’hébreu en revanche en compte 5 : a, e, i, u (ou) et o, qui peuvent être courtes, longues ou très longues. Le shewa permet d’indiquer l’absence de voyelle, ce qui correspond au sukkun (°) en arabe.


Dans la vie quotidienne, la vocalisation n’est pas indiquée, ce qui rend difficile la lecture pour les débutants mais allège considérablement l’écriture et la lecture pour les natifs. Au bout d’un an et demi d’apprentissage de l’arabe, je peux vous dire que pour les phrases du quotidien la vocalisation est superflue, d’autant plus qu’il existe un certain nombre de règles permettant de la deviner ! A priori, il en va de même pour l’hébreu, ne serait-ce que pour savoir distinguer le o court (qamets ratouph) du a mi-long (qamets).

  • Certaines consonnes portent des noms similaires dans les deux langues, par exemple :
    • Mim en arabe (م), Mem en hébreu (מ), M
    • Nun dans les deux langues : ن et נ, N
    • Alif en arabe (أ), Aleph en hébreu (א), A ou esprit « doux » (en grec)
    • Sin et Chin, qui ne diffèrent que par le nombre de points (en arabe : س et ش) ou la localisation du point (שׂ et שׁ)
Ceci n’est pas un hasard : le nom des lettres de l’alphabet phénicien, ancêtre ultime de ces deux langues, n’étant pas connu, les linguistes leur ont appliqué la valeur (le nom) des mots que les pictogrammes hiéroglyphiques à l’origine des caractères phéniciens représentent. Par exemple : la lettre M a été « nommée » Mem car le hiéroglyphe dont découle la graphie de cette lettre se lisait « mêm » (ce qui signifie « eau » en hiéroglyphe).

  • En arabe comme en hébreu, la graphie de certaines lettres change lorsqu’elles sont placées en fin de mot. Toutefois, en arabe il peut aussi exister une graphie particulière pour le début et le milieu de mot (comme le ه), ce qui n’existe pas en hébreu.
  • Contrairement à l’hébreu, les lettres d’un même mot s’attachent en arabe, sauf celles qui font exception à la règle (د, أ, و, etc.).
  • L’ajout d’un daguesh en hébreu permet de modifier la prononciation d’une lettre : ב se lit v, se lit b, כ se lit kh, se lit k. En arabe, les points situés au-dessus ou en-dessous de certaines lettres permettent également d’en modifier la prononciation (ح se lit h aspiré, ج se lit dj et خ se lit kh).
En revanche, si dans l’écriture manuscrite, le mot arabe commence au-dessus de la ligne pour finir sur la ligne, il semblerait qu’en hébreu on écrive droit, en suivant la ligne, comme dans les langues latines.

Finissons avec quelques considérations plus amusantes : je vous propose une courte liste de mots dont les écritures en arabe et en hébreu sont voisines (les prononciations également).


Notes
*L’araméen, encore parlé de nos jours par des minorités chrétiennes et juives du Proche-Orient, a été la principale langue de l’administration et du culte pendant plus de 3000 ans, au sein des différents qui se sont succédés dans la zone. Une grande partie des livres de Daniel et d’Esdras a été rédigée dans cette langue, qui est aussi celle du Talmud. On pense que Jésus prêchait en araméen, bien que le grec ait été largement utilisé pour fixer les Evangiles. [2]
**Les Nabatéens étaient un peuple de l’Antiquité constitué d’éleveurs de moutons et de dromadaires, qui vivaient dans la tradition nomade au Proche-Orient (Sud de la Jordanie et de Canaan et Nord de l’Arabie). S’étant finalement sédentarisés au carrefour de plusieurs routes commerciales, ils ont donné naissance à un empire agricole et marchand prospère, dont témoignent les spectaculaires ruines de Petra en Jordanie. Leur civilisation a commencé à décliner lorsque l’Empire Romain, jaloux de leur influence dans la région, a commencé à privilégier les échanges avec Palmyre (Zénobie), avant de les englober au sein de la Province Romaine d’Arabie. [3]

Sources
[1]     https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'alphabet_arabe
[2]     https://fr.wikipedia.org/wiki/Aram%C3%A9en
[3]     https://fr.wikipedia.org/wiki/Nabat%C3%A9ens

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