vendredi 17 juin 2016

Les nuits poétiques de Youness // Yunus' poetry nights : Anvari

Si Youness m'a suggéré de présenter Anvari aujourd'hui, c'est parce qu'il s'agit du poète préféré de sa bien-aimée et par conséquent de l'un de ceux qu'il aime le plus lui chuchoter à l'oreille le soir. Il se trouve que j'aime moi-même énormément Anvari. Ne cherchez pas, c'est moi qui ai rédigé l'article wikipedia le concernant.
It's no wonder Yunus suggested me to introduce Anvari to you today, as he's the favorite poet of his beloved and therefore one of the poets Yunus often recites to her at night. In fact, I love Anvari too, so don't be surprised: I'm the author of the French wikipedia article related to him.

De son vrai nom Awhad-od-Dîn 'Ali Ibn Mohammad Kharavani Abiverdi, Anvari est incontestablement l'un des plus grands poètes perses de tous les temps : sa renommée vaut celle du grand Motanabbi dans le monde arabe. Il est avant tout connu pour ses éloges ou panégyriques, le genre prédominant à son époque, et pour la richesse et la complexité de ses textes. [1] Selon Jami*, Anvari était le maître incontesté des qacîda**, Saadi*** celui des odes et Ferdowsi**** celui de la poésie épique. [3] Les siècles suivants sa mort, de nombreux poètes firent référence aux vers et aux récits d'Anvari : l'un des plus éminents fut sans doute le mystique Rumi***, dont je vous parlerai prochainement.
Awhad-od-Dîn 'Ali Ibn Mohammad Kharavani Abiverdi, more commonly known under the Talralloç (pseudo) Anvari, is indisputably one of the greatest Persian poets ever: his reputation equals Motanabbi's in the Arab world. He's above all famous for his eulogies or panegyrics, which were very popular styles at that time, as well as for the complexity and sophistication of his works. [1] According to Jami*, Anvari was unquestionably the master of qacîda**, Saadi*** the master of odes and Ferdowsi**** the master of epic. [3] Many poets referred to Anvari's verses and tales centuries after his death: one of the most famous is the mystic Rumi***, which I'll soon introduce you to.

Anvari naquit près d'Abiverd, dans le Khorâsan (d'où son nom : Abiverdi). Cette cité qui a aujourd'hui disparu serait située au Sud de l'actuel Turkménistan, près de la frontière avec l'Iran. Par le passé, elle a connu son heure de gloire en raison de sa situation stratégique au milieu de plaines fertiles et au carrefour de routes commerciales. Mais son déclin s'est amorcé avec les invasions mongoles (Genghis Khan à partir de 1221) puis ouzbekes (à partir du XVIe siècle) et enfin sous Nadir Chah qui la fit raser vers 1730. En 1126 néanmoins, lorsque naquit le poète, la ville était prospère et attirait les convoitises. [4]
Anvari was born near Abiverd in Khorâsan (that's why he's called Abiverdi). This city doesn't exist anymore but should be located south of today's Turkmenistan, close to the border with Iran. In the past, Abiverd was wealthy mainly because of its position in the center of a fertile area and at the crossroads of trading paths. But it started to decline due to Mongol invasions (Genghis Khan&Sons from 1221), then Uzbek invasions (from the 16th century); eventually the city was destroyed at the request of Nadir Shah around year 1730. However, at the time Anvari was born (1126) Abiverd was flourishing and was gazed at with longing. [4]

A l'instar de nombreux intellectuels du monde arabo-musulman, Anvari était à la fois mathématicien, astronome, scientifique et poète. Il fit ses études au collège de Tus puis mena une vie besogneuse jusqu'au jour où l'une de ces qacîda* attira l'attention du Sultan Sandjar qui le prit sous sa protection. Anvari abandonna donc les sciences pour se consacrer à la carrière nettement plus lucrative de poète de cour. [2] Notons toutefois que c'est précisément grâce à l'étendue impressionnante de sa culture dans des domaines variés qu'il put se hisser à un tel niveau de maîtrise de son art. En effet, un poète de cour à cette époque ne devait pas seulement connaître sur le bout des doigts les poètes antiques et contemporains, et maîtriser la technique excessivement complexe employée dans les panégyriques de cour, ce qui en soi constituerait déjà un exploit. Il devait en outre être capable d'improviser de manière novatrice et attrayante sur n'importe quel sujet, comme la médecine, l'astrologie, les sciences de la religion, mais aussi les passe-temps de l'époque : le tric-trac, les échecs ou le polo. Anvari excellait manifestement dans cet art et était même trop doué pour être un simple poète de cour ; certains de ses vers témoignent qu'il en avait parfaitement conscience. [3]
Like many of the famous intellectuals from the past Arab world, Anvari was a poet but also a mathematician, an astronomer and a scientist. After completing his studies in Toon, it took him some time to be recognized; after one of his qacîda* drew the attention of Sultan Sandjar on him, Anvari finally got a sponsor and gave up science to dedicate himself to the better paid career of a court poet. [2] Note that if he managed to rise at such a high level of expertise in his art, it's partly because his knowledge was very large on many subjects. At that time indeed a court poet couldn't just have learned antic and contemporary poets and master the extremely complicated technique used in Persian court panegyrics, even if it already would be a challenge. He also had to improvise in an original and exciting way on any occasion, and be versed in medicine, astrology, sciences of religion, but also in pastimes such as backgammon, chess or polo. Anvari did obviously excel in his art and he was even too talented to be just a court poet; in some of his verses, he acknowledges he was perfectly aware of it. [3]

Lors de la captivité de Sandjar, Anvari composa son élégie la plus célèbre : "Les larmes du Khôrassan", qui raconte la destruction de la région par les Ghozz, qui pillèrent la ville de Merv et massacrèrent les habitants de Nichapur en 1154. [3] Après la mort de Sandjar en 1157 il vécut très probablement à la cour des princes de Merv, avant de tomber en disgrâce pour avoir annoncé, par un calcul astrologique, un orage un jour qui se révéla parfaitement calme. [1] Il vécut alors à Nichapur puis, une vingtaine d'années avant sa mort, abandonna définitivement la poésie de cour. Il décida alors de se retirer  du monde et de vivre dans la contemplation soufie ; c'est ainsi qu'il finit ses jours à Balkh en 1189. [2]
During the captivity of Sandjar, Anvari composed his most famous eulogia "The Tears of Khorassan", which relates the destruction of the area by the Ghizz, who plundered Merv and massacred the inhabitants of Nichapur in 1154. [3] After Sandjar's death he presumably moved to Merv court, before falling from favor because he predicted with an astrological calculation that a storm would happen and the day was finally perfectly quiet. He moved to Nichapur then twenty years before he died he decided to give up poetry and retired from the court: so he spent the rest of his life living as a Sufi in Balkh, where he died in 1189. [2]

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1. [1]
Qu'est donc l'amour ? C'est subir des épreuves ; c'est faire connaissance avec peine et chagrin, sentir la pointe de la dague du destin, se transformer en une cible pour sa flèche ; c'est ne plus s'occuper de tous les autres liens quand on s'est mis au pied le lien de l'être aimé ; et c'est pour la durée de toute l'existence, sous le pied du malheur que cause l'être aimé, resté courbé comme le bout de ses cheveux ; c'est être devant lui simple atome dans l'air lorsque s'est dévoilé le soleil de sa face ; c'est consentir à toute espèce de tourments ; c'est renoncer à toute espèce de pouvoir ; et c'est lui demeurer obstinément fidèle, fussiez-vous malmené par cent vexations ; c'est servir au moulin de pierre inférieure, si même cet amour doit vous moudre les os.

2. [1]
En voyageant, l'homme s'instruit ; il y gagne des dignités, y trouve un trésor de richesses ; le voyage enseigne talents. De ce pays où tu deviens méprisable aux yeux des humains, déménage rapidement pour aller vers un autre lieu. Si l'arbre pouvait se mouvoir et s'en aller de place en place, il ne subirait les offenses ni de la soie ni de la hache. Vivant dans sa ville natale, l'être humain reste sans mérite ; lorsqu'elle est encore dans la mine, la gemme n'a pas de valeur. Il faut que tu regardes bien l'état de la terre et du ciel : si l'un demeure immobile, l'autre sans cesse est en voyage.

3. [1]
L'étendard de ta beauté a surpassé la lune ; ton injustice envers mon cœur a passé la mesure ; le feu de la séparation a dévoré mon âme ; l'ennui que je sens loin de toi a submergé ma tête ; ce qui passa d'amour, hier soir, sur ton esclave, ne passera jamais sur aucun des amants ; mes pleurs amers ont mis le trouble dans le monde, et plus haut que le ciel s'est élevée ma plainte. Ton image, hier soir, à moi s'est présentée, et mon œil répandit des perles à ses pieds de sorte qu'en passant elle foulait des perles. Mes pleurs ont surpassé le rubis en rougeur ; et ma face est encore plus pâle que l'or jaune.
******************************* 
1. [3]
O morning breeze, when you pass by Samarqand,
Bring the letter of the people of Khorassan to that Sultan!
(From "The Tears of Khorassan")

2. [3]
I wrote ghazal [love poems] and praise song and satire only, friend,
Since lust and greed and anger were all too strong in me:
That one remained all night long in grief immersed and thought,
How to describe the tresses, the curls, the lips so sweet;
The other one was toiling away all day in pain, all night:
Whence, how, from whom and whether some pennies to obtain.
A tired dog the third one, whose consolation is
To find somebody's weakness and to abuse him then.
Since God has these three hungry, these dogs - far may they be! -
Turned from me in His mercy and made poor me now free,
How could I sing a ghazal, a satire or a praise?...

3. [3]
The water of the eye and the fire of the heart carried away the pleasure of my soul
As a sharp wind carries straw from the surface of the dust in the wasteland.

4. [3]
When your hand fills the cloud with the water of generosity,
The hand of the plane tree breaks from [the weight of the] silver.


Une petite anecdote pour conclure. Anvari était aussi un amateur de vin ; un jour il fut dans l'obligation de s'excuser en vers après avoir vomi lors d'un banquet alors qu'il était ivre !Let me finish with a funny story: Anvari was a man who liked a glass of wine; one day, he had to apologize in a poem for getting drunk and vomiting at a party!

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Notes
*          Jami (Nur ad-Dīn Abd ar-Rahmān Jāmī): poète et mystique perse du XVe siècle Persian poet and mystic from the 15th century
**        qacîda: forme poétique originaire de l'Arabie Préislamique (avant 622), il s'agit en général d'une ode à un prince old Arabic form of writing poetry (popular before 622), usually an ode in praise of a prince or king
***      Saadi (Abū-Muhammad Muslih al-Dīn bin Abdallāh Shīrāzī) & Rûmî (Jalāl ad-Dīn Muhammad Rūmī) : poètes et mystiques perses du XIIIe siècle Persian poets and mystics from the 13th century
****    Ferdowsi (Abu'l-Qasim Ferdowsi Tusi) : poète et mystique perse du Xe siècle Persian poet and mystic from the 10th century


Sources
[1]     Henri Massé, Anthologie Persane. (French only)
[2]     https://www.createspace.com/4788942 (English only)
[3]     A. Schimmel, S. C. Welch, Anvari's Divan: A Pocket Book for Akbar, 1983 (English only)

mardi 14 juin 2016

Demain est un autre jour // The Life List : Lori Nelson Spielman (1)

J'ai lu ce roman au printemps, mais je n'ai pas une folle envie de le commenter ; à vrai dire, l'analyse faite par cette blogueuse [1] reflète plutôt bien mon impression mi-figue mi-raisin. En revanche, j'en ai tiré l'idée de dresser une liste des rêves de jeunesse que l'on souhaite accomplir, ne serait-ce que pour la contempler des années après avec un regard attendri et mesurer l'étendue plus ou moins importante du fossé qui sépare nos vieux rêves de jeunesse de la réalité. Toutefois je n'ai nul désir de faire la liste des rêves que j'avais à quatorze ans, sinon vous risqueriez de vous retrouver avec des actions insolites comme : "devenir gardienne de phare" (j'ai pleuré de déception le jour où j'ai découvert que le métier est en voie de disparition et que depuis longtemps on ne forme plus de gardiens). Ou encore comme celle-ci : "devenir la meilleure chanteuse goth de tous les temps et brûler des billets de banque sur scène pour protester contre la société de consommation" (déjà, j'ignore quand j'aurai l'occasion de remonter sur scène et puis je n'ai pas sur moi assez de billets pour commencer à m'en servir d'allume-gaz).
I read this novel during Spring this year, but I don't really mean to comment it; in fact I found on a blog [1] (French-speaking only sorry) an analysis which suits rather well my feeling of being only half-convinced by the general idea. However, I found the idea of making a list of all the youth dreams we'd like to accomplish, keep it and read it many years later, simply great. Even if it's just to look at it with tenderness and measure how far we've gone from our prime expectations. Today, I have no intention of drawing a list of the dreams I had at fourteen, or it'd be something like this: "become lighthouse keeper" (I cried and cried the day I discovered there's no training system anymore as this beautiful work is progressively disappearing). Or it could be something like this: "become the greatest goth singer EVER and fight against the consumer society by burning money on stage" (I don't really know when I'll go back on stage and let's be reasonable: I don't have that much money right now...).

Je m'intéresse plutôt aux rêves que j'ai conçus à mon entrée dans l'âge adulte, et maintenant que je viens d'en dresser une liste, je me rends compte qu'il y en a plus que je ne le croyais :
In this article, I'm talking about the dreams I had when I became a grown-up, and now that there is a list in front of me, I realize they are more than I expected.
     1.   Publier un livre/Devenir écrivain
     1.   Publish a book/ Become a writer
     2.   Passer une nuit dans le désert
     2.   Sleep in the desert
     3.   Aller marcher sur la Banquise (tant qu'il y en a encore)
     3.   Walk on an icefield at North Pole (before all ice fields have melted)
     4.   Monter sur une plateforme pétrolière
     4.   Visit an oil rig
     5.   Animer une émission de radio pour les ados expatriés
     5.   DJ on an expatriate teenage radio station
     6.   Rencontrer Umberto Eco et lui dire tout ce que je pense de ses romans
     6.   Meet Umberto Eco and tell him how much I love him and his books
     7.   Rencontrer Roger Hodgson et lui dire tout ce que je pense de ses chansons
     7.   Meet Roger Hodgson and tell him how much I love him and his songs
     8.   Apprendre à jouer de l'orgue
     8.   Become an organist
     9.   Avoir plein d'enfants
     9.   Raise many children
     10. Décorer moi-même ma maison (en faisant tout de mes mains)
     10. Decorate myself the house (with only handmade stuff)

Il y en a d'autres sans doute, chaque année apportant son lot d'espérances et de maturité ; néanmoins je crois tenir une compilation assez réaliste de mes rêves ces dix dernières années. Voyons maintenant où j'en suis avec la première moitié de la liste !
I'm sure some dreams are missing, because each year I had new hopes and I became more mature; however I think this compilation of my dream from the last ten years is quite realistic. Now, let's see what I've done so far!

N°1: Publier un livre/Devenir écrivain       N°1: Publish a book/ Become a writer
J'y travaille mais c'est plus dur qu'il n'y paraît. Car outre les aspects purement financiers propres à la majorité des carrières artistiques, il y a un obstacle de taille : le volume horaire très aléatoire que j'arrive à dédier à mon roman, en dehors du travail, des cours d'arabe, du sport, du blog et de tout le reste... Je vole des heures à droite et à gauche, et cela a forcément des répercussions sur ma capacité de concentration, qui n'est pas toujours extraordinaire au moment où je me consacre à mon livre. Cependant, si j'usais de casuistique, je rappellerais ce que j'ai trouvé en préambule d'un blog d'écriture, à savoir que l'on n'a pas besoin de publier pour devenir écrivain, que l'on devient écrivain le jour où l'on se met à écrire. Selon cette définition, je suis écrivain depuis l'adolescence ! Et également compositeur, interprète et poète (mais ne comptez pas sur moi pour mettre en ligne l'un de mes poèmes, j'ai bien trop honte). Conclusion : n'ayant pas la moindre intention de me limiter à un seul roman, je crois que le rêve N°1 demeurera un rêve au long court, qui m'accompagnera toute ma vie durant.
Still working on it but it's harder than it seems. Because outside of strictly financial aspects you'll find in almost all artistic careers, there is a big obstacle: the time I can dedicate my novel, after I'm done with work, Arabic courses, sport, blog and chores... I steal a few hours there and there but the global amount of time remains insufficient. Moreover with such a rhythm, my ability to focus when I've got time is far from being constant, or good. However, from a casuistic point of view, the message I found in the introduction of a blog is right: I don't need to wait getting published to become a writer; I became a writer the day I started writing. According to this definition I've been a writer since my teenage years! And composer, interpret and poet as well (but don't think I'll ever post here on of my old poems, I'd really feel ashamed of myself). To conclude: as I have NO intention to stop after completion of my first novel, I may say that dream N°1 will remain open until my last days.

N°2: Passer une nuit dans le désert     N°2: Sleep in the desert
Mission accomplie ! J'y ai même passé deux nuits et je donnerais beaucoup pour renouveler l'expérience. La preuve en images...
Mission accomplished! And even beyond, as I spent two nights in the desert,and would trade everything to go back there. You'll understand why by looking at the pictures...

 

N°3: Aller marcher sur la Banquise (tant qu'il y en a encore)     N°3: Walk on sea ice (before all has melted world-wide)
Mission accomplie ! Même si les puristes diraient que marcher sur un champ de glace n'est pas pareil que marcher sur la banquise au-dessus d'un océan sans fond, en entendant craquer la glace, je considère que mon séjour dans les Îles Svalbard m'a menée plus près du Pôle Nord que je n'aurai jamais imaginé.
Mission accomplished! OK, to be perfectly honest I must admit that trek on an ice field up north isn't the same as trekking on an bottomless frozen ocean while listening to the cracking ice. However I consider that the week I spent trekking in Svalbard Island has brought me closer from North Pole than I'll ever be.



N°4: Monter sur une plateforme pétrolière     N°4: Visit an oil rig
Mission accomplie ! J'ai même fait plus que ça car non seulement j'ai fait des missions sur divers sites offshore du Congo, mais j'ai également été affectée 1 an en Angola. Il va falloir me croire sur parole, car j'ai bien posé devant les installations pour montrer aux parents que c'était bien moi là en combinaison orange et harnachée comme une mule de voyage, mais je doute d'avoir le droit de les diffuser sur la toile. A vrai dire, si j'ai apprécié l'ambiance toute particulière des sites industriels à terre et en mer, la camaraderie qui vient quand on vit en vase clos dans des conditions parfois difficiles, les blagues grossières que l'on racontait quand j'avais le dos tourné (parce que non, tu es une fille, on ne peut pas dire ça devant toi), je dois reconnaître que l'offshore a eu raison de moi. Soyons francs, mon poste était l'un des plus éprouvants du site et je n'étais pas taillée pour résister bien longtemps aux nuits blanches à répétition et à la pression opérationnelle. Cela dit, cela reste une bonne expérience qui m'aura permis de cerner mes limites, mentales et physiques. De comprendre que certes je passe chaque année au travers des gastros, grippes et autres infections, mais que non, je ne suis pas en béton armé. Et de découvrir que lorsque le corps dit "cela suffit", l'esprit ne peut y suppléer et tenir seul la boutique.
Mission accomplished! I even went further than just visiting because I went on mission on several sites in offshore Congo but I also took a one-year position in offshore Angola. You'll have to take your chances and believe me, because I won't show you anything. Of course I took pictures of me with the production units behind, at least to show my mother that yes the girl in sexy orange cover-all and heavy protective equipment is your only daughter; But I'm pretty sure I can't put them on line. I really appreciated the special atmosphere on industrial sites both onshore and offshore, the friendship that comes from being trapped in a closed environment with sometimes difficult conditions, the gross play on words that they told each other as soon as I was gone (you know, it's because you're a girl, I can't say that in front of a girl). But I must admit offshore defeated me after a year only. My position was one of the most trying of the site and I was not strong enough to endure frequent sleepless nights and operational pressure on a long-term basis. However I keep good memories of this experience which has allowed me to determine my mental and physical limits, to understand that even if every year I managed to avoid flues and colds, I'm not a robot, and to finally understand that when the body says "enough!" the brain alone is useless.

C'est tout pour aujourd'hui. La suite au prochain numéro !
That's all folks! See you next time!

Source

samedi 11 juin 2016

Tu es un chef-d'oeuvre // You're a masterpiece

Pour changer un peu de la poésie et de la culture arabe, faisons un petit détour par l'Inde avec un texte du gourou Sri Sri Ravi Shankar qu'une amie m'a envoyé et qui, je dois le reconnaître, a fait son office de préservation de ma paix intérieure aujourd'hui.
Let's switch a while from Arabian poetry and culture and move to India. Here is a text from guru Sri Sri Ravi Shankar that a friend sent me yesterday and I must admit it helped me to restore inner peace.

Je souhaiterais tout d'abord expliquer son titre de "gourou" (guru) car il a de quoi choquer les oreilles des francophones. Le terme "gourou" peut revêtir plusieurs réalités en Occident : tout d'abord son sens premier, qui provient du sanskrit et des langues indiennes, et désigne le "maître" d'une tradition hindouiste, sikh ou jaïne.[1] Il s'agit d'une personne qui a suivi les enseignements et pratiques d'une école spirituelle et les transmet à son tour à ses élèves ; le titre "gourou" possède alors une connotation honorifique qui rend hommage à son savoir et à sa sagesse. Ce terme peut en revanche désigner le maître et manipulateur d'une dérive sectaire, auquel cas la connotation est clairement péjorative. Enfin il arrive parfois que l'on qualifie de gourou une personne particulièrement compétente dans un domaine, comme par exemple en informatique.[1] Ici, c'est bien entendu la première définition qui s'applique.
But first, I'd like to talk a bit about the title of Ravi Shankar, "guru", which can be controversial in Western countries. The word "guru" can indeed bear several meanings: in Hindu, Sikh or Jain traditions, a guru is a spiritual leader, and the word itself originates from Sanskrit and Indian dialects.[1] A guru is therefore someone who followed the teachings and practices of a spiritual school or movement and who now teaches them to his disciples; in this case, the title "guru" has a positive connotation, it's a way of showing consideration to a wise and erudite teacher. However "guru" may also refer to the corrupted and manipulative master of a sect and in that case it's badly connoted. Last but not least, one sometimes qualifies as "guru" a person extremely good at something, like programming or medicine... In this article I'm obviously using the first definition.[1]

Le guru Ravi Shankar (à ne pas confondre avec le célèbre joueur de sitar) est né en 1956 dans le Tamil Nadu, l'Etat le plus au Sud de l'Inde (où se trouvait l'ancienne ville de Madras, rebaptisée Chennai). Depuis son plus jeune âge il a étudié les textes sanskrits et a suivi les enseignements de grands maîtres védiques qu'il a accompagnés dans leurs déplacements dans le pays mais aussi à l'étranger, avant de fonder, dans les années 1980, l'International Art of Living Fundation (la Fondation Internationale sur l'Art de Vivre) et l'ONG International Association for Human Values (AIVH, Association Internationale pour les Valeurs Humaines). Il est à l'origine d'un programme de réinsertion pour les prisonniers (PrisonSmart) et milite actuellement pour la promotion des valeurs humaines et de l'éthique dans le monde du business. Il est également l'auteur d'une dizaine de livres de philosophie et de sagesse. [2]
Guru Sri Sri Ravi Shankar (not to get mixed up with Ravi Shankar the Sitar player) is born in 1956 in Tamil Nadu, in Southern India; the biggest city in the area in Chennai, formerly known as Madras. Since youth, Ravi Shankar as studied vedic texts in sanskrit and followed the teachings of great vedic masters who took him under their wing by travelling through the country and abroad. In the 80s, he founded the "Art of Living" fundation and the NGO "International Association for Human Values"; he also created a program to help prisoners reinsert into society (PrisonSmart) and still campaigns for the promotion of human values and ethics in business. He also wrote a dozen of books about philosophy and wisdom. [2]

Sa pratique s'appuie avant tout sur la respiration, en partant d'un constat simple : chaque émotion, positive comme négative, modifie de rythme de la respiration ; en contrôlant cette dernière il devient possible d'évacuer les émotions négatives et d'élever son esprit. Les bénéfices physiques et psychologiques de cette méthode seraient la réduction du stress, l'amélioration de la concentration, un renforcement général du système immunitaire et la lutte contre la dépression et les crises d'angoisse. Néanmoins, ce bilan ne fait pas l'unanimité au sein des sphères scientifique et médiatique et des voix se lèvent régulièrement pour remettre en question la robustesse scientifique de cette technique et la légitimité de son inventeur à utiliser sa notoriété pour s'exprimer sur des problématiques sociales ou sociétales. [2]
The technique invented by guru Ravi Shankar is based on breathing and starts from a simple assumption: each emotion, whether positive or negative, influences the pace of breathing; by controlling the breathing, one can get rid of negative emotions and elevate the soul. The benefits of this method for the body are stress reduction, a better ability to focus, a global immune system fortification and a help against depression or anxiety attacks. However not all scientists and journalists do agree with the results and some voices have been raised to question the robustness of this technique and its creator's legitimacy to use his reputation to talk about social or society issues.[2]

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La traduction française est de moi ; je me suis efforcée de conserver au maximum l'idée générale, aussi n'est-elle pas littérale.

Tu es un chef-d’œuvre.

Un jour, une prune m’a dit : « Juste parce qu’à-côté de moi se trouvait un amateur de bananes, je me suis transformée en banane. Malheureusement il a changé d’avis quelques mois après, et donc je suis devenue une orange. Quand il m’a dit que j’étais trop amère je suis devenue une pomme mais finalement il est parti à la recherche de raisins. »

J’ai changé si souvent pour me conformer aux opinions des autres que je ne sais plus désormais qui je suis. Aujourd’hui je regrette de ne pas être restée une prune et de ne pas avoir attendu la venue d’un amateur de prunes. Tu n’as pas besoin de te séparer de ce qui te rend unique juste parce qu’un groupe de personnes ne t’accepte pas tel que tu es.

Tu dois garder une bonne opinion de toi-même, car le monde te perçoit de la manière dont toi tu te considères. Ne te rabaisse jamais dans l’optique d’obtenir de la reconnaissance. Ne te sépare jamais de ton vrai-toi en échange d’une relation avec quelqu’un. Sinon à long terme, tu regretteras d’avoir troqué ton plus grand trésor – ton individualité – contre une reconnaissance temporaire.

Gandhi lui-même n’était pas accepté par de nombreuses personnes. Les gens qui ne t’acceptent pas ne font pas partie de ton univers. Il y a un monde pour chacun de nous, dans lequel tu règnes en roi ou reine juste parce que tu y es toi-même. Pars à la recherche de ce monde ! A vrai dire, c’est ce monde là qui va te trouver. Ce que l’eau peut faire, l’essence ne le peut pas et ce que le cuivre peut faire, l’or ne le peut pas. La fragilité de la fourmi permet à celle-ci de bouger tandis que la rigidité de l’arbre permet à celui-ci de s’enraciner.

Chaque chose et chaque être a été conçu avec un certain pourcentage d’originalité afin d’atteindre un but qu’il ne peut atteindre qu’en étant lui-même justement. Toi et toi seul peux atteindre ton but, et moi et moi seule peux atteindre le mien. Tu es sur Terre pour être toi-même, juste toi-même. A une époque le monde a eu besoin d’un Krishna et Krishna a été envoyé ; à une époque le monde a eu besoin d’un Jésus et Jésus a été envoyé ; à une époque le monde a eu besoin d’un Mahatma et le Mahatma a été envoyé. A une époque, ta présence sur Terre a été nécessaire et tu as été envoyé.

Soyons aussi vrai que possible. Ne t’oublie pas et ne laisse pas le monde t’oublier. Dans l’Histoire de l’univers, il n’y a eu personne comme toi et à l’avenir il n’y aura jamais personne comme toi. C’est comme si la Vie t’avait adoré au point de briser le moule qui a servi à te fabriquer pour s’assurer qu’il n’y ait jamais de copie.

Tu es original, tu es rare, tu es unique.
Tu es une merveille, tu es un chef d’œuvre.
Tu dois célébrer ton originalité.

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Below is the original text, in English.

A plum once said, just because a banana-lover came by, I converted myself into a banana. Unfortunately, his taste changed after a few months and so I became an orange. When he said I was bitter I became an apple, but he went in search of grapes.

Yielding to the opinions of so many people, I have changed so many times that I no more know who I am. Now I wish I had remained a plum and waited for a plum lover. Just because a group of people do not accept you as you are, there is no necessity for you to strip yourself of your originality.

You need to think good of yourself, for the world takes you at your own estimate. Never stoop down in order to gain recognition. Never let go of your true self to win a relationship. In the long run, you will regret that you traded your greatest glory - your uniqueness, for momentary validation.

Even Gandhi was not accepted by many people. The group that does not accept you as you is not your world. There is a world for each one of you,where you shall reign as king or queen by just being yourself. Find that world... In fact, that world will find you. What water can do, gasoline cannot and what copper can, gold cannot. The fragility of the ant enables it to move and the rigidity of the tree enables it to stay rooted.

Everything and everybody has been designed with a proportion of uniqueness to serve a purpose that we can fulfil only by being our unique self. You as you alone can serve your purpose and I as I alone can serve my purpose. You are here to be you... just you. There was a time in this world when a Krishna was required and he was sent; a time when a Christ was required and he was sent; a time when a Mahatma was required and he was sent. There came a time when you were required on this planet and hence you were sent. 

Let us be the best we can be. Don't miss yourself and let the world not miss you. In the history of the universe, there has been nobody like you and to the infinite of time to come; there will be no one like you. Existence should have loved you so much that it broke the mould after making you,so that another of your kind will never get repeated.

You are original. You are rare. You are unique.
You are a wonder. You are a masterpiece.
Celebrate your Uniqueness.

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Pour en savoir plus sur l'auteur de ce texte, vous pouvez consulter son site internet (en anglais) // To know more about the author here is the link to his personal website: 
http://srisriravishankar.org/

jeudi 9 juin 2016

Les splendeurs de Jabrin : les tapis persans // Splendors of Jabrin: Persian carpets

Le sujet d'aujourd'hui concerne les tapis persans que j'apprécie tout particulièrement pour leurs motifs, leurs couleurs et leur douceur ; je rêverais d'en tapisser tous les sols de ma maison et de ne faire que passer d'un tapis à l'autre lorsque je me déplace. Ces tapis sont prisés non seulement en Occident mais aussi dans les pays du Golfe et ceux que j'ai pu contempler à Oman étaient de véritables délices pour les yeux. Ceux qui m'ont le plus impressionnée sont ceux du fort de Jabrin, qui a récemment été rouvert au public après restauration, et que j'ai eu la chance de pouvoir visiter en décembre dernier.
Today's topic is Persian carpets. I like them, I love them, I love their colors, patterns and softness; I wish I could cover all floors with Persian carpets and only walk from a carpet to another. These carpets are valued not only in Western countries but also in Middle-East and those I saw in Oman were simply gorgeous. I particularly admired the carpets at Jabrin fortress, which recently reopened after restoration and that I visited last December.

Mais tout d'abord, pour mieux apprécier ce que vous allez voir, quelques notions sur la fabrication des tapis sont nécessaires. On ignore exactement quand a commencé la fabrication des tapis persans : le plus ancien fragment retrouvé, le tapis Pazyryk, découvert en Sibérie, date du Ve siècle avant J.C. mais l'étude détaillée de sa confection démontre un degré de maîtrise technique qui n'a dû être atteint qu'au bout d'un millénaire seulement. C'est dire si l'art de fabriquer les tapis est ancré dans la tradition persane ! Les tapis sous la forme que nous connaissons bien ne furent importés en Europe qu'à partir du XIIIe siècle ; Giotto aurait été le premier peintre à les intégrer dans ses œuvres, suivi un peu plus tard par Van Eyck, Mantegna, Van Dyck et Rubens. Néanmoins, à l'époque, ces tapis artisanaux étaient si précieux qu'on se refusait à les poser par terre, comme cela se faisait en Orient, et qu'on les exposait plutôt sur des tables ou des chaises.[1]
But first, in order for you to better appreciate what you'll see, here are a few facts about carpet fabrication. Nobody really knows when the first carpet has been weaved in Persia: the oldest fragment discovered by archeologists, Pazyryk carpet, was found in Siberia and apparently it might have been produced in the 5th century before Christ. However, specialists assume that this level of expertise may not have been achieved before at least one thousand years of practice. It means that at that time the art of carpet weaving was already strongly rooted in Persian culture. The carpets we are used to see in Europe started to be imported during the 13th century; Giotto is probably the first painter to represent them, followed with Van Eyck, Mantegna, Van Dyck and Rubens. However, at that time, traditional carpets were so precious and rare that they weren't used to cover the floor but were laid on tables and chairs for exhibition.[1]

Ce n'est qu'à partir du XIVe siècle que, sous l'égide de la dynastie safavide (1501-1736), la production des tapis passa en Perse de l'artisanat à une industrie nationale dédiée au marché national mais également à l'exportation, vers l'Europe, l'Empire Ottoman ou l'Inde. Les ateliers de tapis royaux d'Isfahan, Kashan et Kerman étaient réputés et produisaient des tapis pour les palais et mosquées du shah mais aussi pour être offerts aux monarques et représentants étrangers. L'introduction des colorants de synthèse à partir de 1856 (découverte de l'aniline) engendre la réalisation de tapis de moins bonne qualité, néanmoins l'artisanat se maintient et les exportations vers l'Angleterre, la France et les USA, explosent à la fin du XIXe siècle. Malgré un ralentissement pendant les deux guerres mondiales, la production de tapis persans s'est maintenue tout au long du XXe siècle, en particulier grâce au mécénat des Pahlavi et à la mise en place de mesures visant à remédier à la baisse générale de qualité observée tant au niveau des dessins que des matières premières et du mode de tissage.[1]
This is only during the reign of safavide kings (1501-1736), that the carpet production became an industry dedicated to national market but also to exportations to Europe, Ottoman Empire or India. The royal carpet manufactures of Ispahan, Kashan and Kerman, were famous and produced carpet for the palaces and mosques of the shah, but also to be offered to foreign kings and ambassadors. The introduction of synthesis dyes, after the discovery of aniline in 1856, marks a turn in carpet production: whereas the average quality degrades, the volume of exportations to France, England and USA explodes at the end of 19th century; however traditional weaving carries on in parallel. In spite of a volume reduction during the two world wars, the production of Persian carpets have maintained until today, particularly thanks to the funding of Pahlavi family and to the implementation of measures to remediate the quality loss observed in design, raw material and weaving techniques.[1]

L'architecture d'un tapis persan est relativement codifiée ; le tapis est d'abord dessiné avant d'être réalisé. Il comporte une partie principale rectangulaire appelée champ, entourée d'une ou plusieurs bordures d'encadrement, et à l'intérieur de laquelle se trouve généralement un médaillon.[1]
Architecture of a Persian carpet is quite systematic and design precedes production. The carpet is constituted of a rectangle called field, surrounded by one or several borders drawing a box around the field; inside the field there is often a medallion.[1]

 Exemple de tapis sans médaillon : on voit le champ et les bordures principales et secondaires
A carpet without medallion: you can see the field and the main and secondary borders

Exemple de tapis avec médaillon // A carpet with medallion

Et voici des exemples de médaillons. Below are some examples of medallions.






Le tapis peut être orienté (avoir un sens) ou non orienté (auquel cas on peut le regarder d'un côté comme de l'autre) : ceux de Jabrin sont non-orientés et comportent plusieurs axes de symétrie ; les tapis de prière en revanche sont orientés car ils font apparaître généralement une niche au niveau du champ.[1] The carpet is either symmetrical or not; in Jabrin there are only symmetrical carpets; however prayer rugs, on which a niche (mihrab) is represented, are not.[1]

Exemple de tapis non-orienté // Non-oriented carpet

Les motifs peuvent varier des formes géométriques aux végétaux, animaux et courbes diverses. Les teintures utilisées jusqu'au XIXe siècle provenaient de substances végétales : garance, feuilles de vigne, indigo, etc. Aujourd'hui, la grande majorité des colorants sont de synthèse,  à base de chrome, néanmoins certains nomades utilisent encore les colorants naturels. Chaque ville ou région se distingue par des tapis particuliers, reconnaissables au dessin, à la technique de tissage, aux motifs et aux couleurs.[1] Patterns may vary from geometrical forms to vegetation, animals and curves. Until the 18th century, dyes were made of plants: madder, indigo, chamomile, oak apples etc. Today the majority of dyes are synthesis chemicals made with chrome; however nomads still usually use natural dyes. Each city or region is distinguishable with its own patterns, colors, design and weaving technics.[1]



Des motifs floraux pour ce tapis à base de vert, de beige, de jaune et d'orange qui est de loin mon préféré. Flowers and leaves on this carpet which is my favorite: green, yellow, beige and orange colors.


Quoi qu'en en dise, les tapis persans sont le moyen par excellence d'habiller une pièce avec élégance. Even if you're not a great fan of Persian carpets, it's a fact that one of them on the floor is already contributing to give the room an elegant atmosphere.





Même si les chaussures étaient autorisées à l'intérieur de la forteresse, je peux vous garantir que chacun de ces tapis est d'une douceur incroyable ; je n'ai pas résisté longtemps à l'envie d'y poser la main... et le pied ! Even if shoes are allowed inside of the fortress, you can believe me: each of these carpets is incredibly soft; I couldn't resist very long the temptation to touch, with my hand but also my foot!

Ce tapis donne vraiment envie de se rouler en boule et de ne plus bouger ! This carpet really makes us want to roll up into a ball and just stay there!

Sources

dimanche 5 juin 2016

Méfiez-vous des rêves que vous poursuivez ! // Be careful with the dreams you chase!

Je suis une grande rêveuse, et bien souvent mes rêves surpassent en beauté et en profondeur le quotidien. Dans mes rêves, je vois différents mondes colorés, chaleureux et mouvementés, où tourbillonnent les idées, où virevoltent les émotions. Dans mes rêves, il ne pleut jamais et si le vent souffle, c'est pour amener les amoureux frileux à se blottir l'un contre l'autre. Dans mes rêves, les gens meurent parfois, mais bientôt la cassette se rembobine et la vie reprend du début : les bons moments reviennent inlassablement, les mauvais également, car les uns se nourrissent des autres.

J'ai rêvé d'autres choses aussi. Par exemple d'une vie paisible passée à quitter la maison au petit matin, à pied ou à vélo, pour aller retrouver les collègues de l'usine, travailler dur pour un jour passer cadre, me satisfaire des bons comme des mauvais chefs (a-t-on vraiment le choix ?), déjeuner à la cantine et rentrer le soir m'occuper de ma famille, pour laquelle j'ai bâti de mes propres mains une grande maison. Ce rêve, je l'ai porté longtemps et il est encore présent dans une petite partie de moi. Seulement, je ne pouvais le faire mien car il ne m'appartenait pas ; ce rêve, c'était celui de mon père, et lui seul l'a réalisé. Je lui dois néanmoins l'obtention d'un diplôme d'ingénieur et un poste dans une compagnie internationale.

J'ai également rêvé de donner des conférences et d'animer des formations sur un domaine dans lequel j'étais devenu tellement pointue que l'on y associait mon nom dans les conversations, de présenter avec charisme et compétence des sujets ardus que je suis l'une des rares à maîtriser avant de retourner m'asseoir sous les applaudissements de mes pairs. Ce rêve aussi, je l'ai porté longtemps et je peine à m'en séparer. Parce que celui-là non plus ne m'appartenait pas ; ce rêve, c'était celui d'un homme que j'ai aimé profondément, plus que de raison sans doute, et lui seul l'a réalisé. Je lui dois néanmoins le choix d'être réintégrée aux équipes travaillant depuis la France et la décision de prendre racine en spécialité.

L'erreur que j'ai faite dans chacun de ces deux cas est de confondre le métier et la personne, de croire qu'il me suffirait de suivre le même chemin pour à mon tour rayonner comme eux, de me laisser aveugler par mon admiration au point de me convaincre que ce qui avait marché pour eux marcherait forcément pour moi. Et qu'alors je deviendrai... eux ! Or ce n'était pas le poste qui avait fait d'eux ce qu'ils étaient, mais l'inverse. Et l'exemple de ma mère qui n'a pas pu vraiment "choisir" sa carrière et s'est retrouvée de surcroît lestée des tâches subalternes de la maison m'est revenu en tête, avec toute sa simplicité et sa composante humaine. Voici un exemple que je m'étais bien gardée de suivre ; car qui rêverait d'une carrière ingrate et peu valorisée ? Pourtant, tout dépend du point de vue, et aujourd'hui je vois dans son dévouement sans faille une preuve de son amour inconditionnel pour nous. De plus, nous ne rêvons pas tous de la même chose : pour certains, le bonheur est synonyme de vadrouille ou d'excitation, pour d'autres il s'appelle sécurité de l'emploi.

Alors pourquoi est-il si difficile de s'affranchir des rêves des autres pour travailler à concrétiser ses propres rêves ? Pourquoi nous laissons-nous si facilement aller à embrasser le rêve de ceux que nous aimons, alors même que ce n'est pas là la voie qui nous épanouira ?

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I'm an endless dreamer. My dreams often go way beyond the daily life in terms of beauty and depth. The universes I dream about are colorful, welcoming and moving, full of swirling ideas and flitting emotions. In my dreams, it never rains and if the wind blows, it's only to make the lovers cuddle up and protect each other from the cold. In my dreams, people sometimes die, but soon after the tape rewinds and life starts again: good memories never stop coming back, and so do bad memories, as both good and bad belongs to the same soul.

There are other things I dreamed about. For instance, a peaceful life where I would leave home at sunrise, running or cycling, go to the factory to join the colleagues and work hard to get a raise and climb step by step the social scale, where I would also cope with good and bad bosses, eat at the canteen and in the evening go back home and take care of my family. The large house I built with my bare hands would be a testimony of my love for them. This dream has long been a part of me, and in a way it's still there somewhere. But I wasn't entitled to make it my own because it's not mine; this dream was my father's and only he fulfilled it. By following his dream, I studied to become an engineer and got a position in an international company.

I also dreamed about hosting conferences and animating trainings on a subject I was so good at that each time someone was talking about it, my name came into the conversation; I dreamed about presenting and discussing with charisma and expertise challenging subjects only few people mastered before going back to my seat to thunderous applause of my peers. This dream has also long been a part of me, and I have troubles getting over it. Because once again I wasn't entitled to this dream; it belonged to a man I deeply loved, may be too deeply to be reasonable, and only he fulfilled it. By following his dream I got myself assigned back to France and expressed a will to engage into a specialist career in my company.

In both these situations, I did the same mistake: I mixed up the people and the job, believing that it would be enough for me to follow the same path to end up shining as they did. I got blinded admiring them and finally convinced myself that what had worked for them should obviously work for me. And that at the end, I'd almost become........ them! Unfortunately it's not that simple: the job wasn't the reason for them to be the way they were, it was the other way round. And the example of my mother, so simple and human after all, came back to me. She hadn't really had a choice for her career and after getting married she started to fill up all the chores both at home and outside, ending up so heavily loaded that I was wondering how she could still manage to find two minutes to breathe. This was typically an example I intended not to follow; honestly who would like a thankless and low-payed mother and worker career? But today I see it differently, because it really depends on your point of view, and I'm very grateful today for her lifetime dedication and boundless love for us. Moreover, we don't all dream about the same life: for some of us, happiness equals exciting and adventurous jobs, for others it means getting life-employment in public services; who can be the judge of that?

Nevertheless, why is it so difficult to free ourselves from the dreams of others and start working on realizing our own dreams? Why is it so tempting to embrace the dreams of the people we love, even though we know deep inside that it won't make us happy?

vendredi 3 juin 2016

L'histoire d'une gomme (suite) (french-speaking article at least for now)

Il était une fois une gomme qui rêvait de voyager. Ce n'était pas une gomme ordinaire, loin de là. Elle appartenait en vérité à un grand magicien, le Comte de C. qui, un jour qu'il se lamentait plus qu'à l'accoutumée au sujet de sa solitude, avait décidé de lui donner l'usage de la parole. Depuis, elle lui tenait compagnie et s'intéressait aux expériences de son maître ; elle était si assidue qu'elle avait fini par devenir son assistant. Le Comte lui faisait confiance, mais en raison de sa jeunesse et de sa petite taille, il lui avait fait promettre de ne jamais - au grand jamais - sortir de son laboratoire. Jusqu'alors la gomme avait tenu parole mais de plus en plus, l'envie de voir le monde la démangeait. Alors cet après-midi-là, après que son maître soit sorti se promener en ville, la petite gomme profita qu'elle était seule pour se hisser sur le rebord de la fenêtre et se glisser à l'extérieur.

Dehors, un monde fascinant l'attendait : un ciel bleu encombré de nuages cotonneux, des rues grouillantes de piétons et encombrées d'attelages et, au loin, le scintillement de la mer qui s'étendait à perte de vue ; des vendeurs ambulants criaient, des passants pressés hélaient les cochers qui eux-mêmes exhortaient les chevaux à avancer, des femmes balayaient les trottoirs et versaient de l'eau dans les caniveaux. La jeune gomme, qui n'était jamais sortie du laboratoire de son maître, ne savait plus où donner de la tête. Elle regardait à droite, à gauche, derrière elle, en haut, en bas, et partout quelque chose de nouveau ou d'insolite attirait son attention. Mais la rue n'était pas sans danger pour elle, si petite et si discrète : elle devait éviter les ornières, les bottes des passants, les sabots des chevaux, les chiens...

La jeune gomme se promenait dans les rues en sautillant lorsque ce qui devait arriver arriva : en cherchant à éviter un gros bouledogue qui l'avait reniflée et ouvrait sa gueule dans l'intention manifeste de la goûter, elle sauta de travers et atterrit... droit dans le caniveau ! Malheur ! Celui-ci était rempli d'eau et la petite gomme, ne sachant nager, n'eut pas d'autre choix que se laisser porter par le courant. Les secondes passaient, elle voyait le trottoir défiler à toute vitesse, sans savoir jusqu'où elle allait voguer ainsi. Elle tentait bien d'appeler au secours mais en vain car personne n'entendait sa petite voix frêle. Et alors qu'elle se demandait comment sortir de ce torrent qui l'entraînait loin de chez elle, elle découvrit avec horreur après un long virage le but final de sa course : une bouche d'égouts ! Il était trop tard à présent pour qu'elle tente quoi que ce soit, elle était perdue ! La jeune gomme, résignée, ferma les yeux et se prépara à se noyer dans le monde souterrain des égouts.

Mais c'était sans compter la providentielle apparition de son maître qui, alerté de sa disparition par une prodigieuse intuition, s'était lancé à sa recherche. Au moment même où l'effrayant trou noir allait l'engloutir, la petite gomme sentit une main la saisir fermement et la ramener au sec, droit dans la poche de veste de son maître. Tremblant de froid et de peur, elle eût à peine le temps de dire ouf que déjà elle retrouvait l'atmosphère familière et rassurante du laboratoire et devait répondre à l'interrogatoire de son maître, mécontent et très inquiet à cause de sa fugue. Et après lui avoir demandé pardon, la petite gomme qui s'était fait la belle promit à son maître de ne jamais plus sortir en cachette.



jeudi 2 juin 2016

L'histoire d'une gomme (french-speaking article at least for now)

Je vais vous raconter l'histoire d'une gomme. Oui oui, vous avez bien entendu, d'une gomme. De celle que l'on trouve dans toutes les trousses, blanche et lisse à la rentrée scolaire, racornie et trouée au mois de juin. De celle qui produit d'abondantes "gommures" que les mamans aiment retrouver sur la nappe à l'heure du repas*. De celle qui se transforme à loisir en boulettes ou projectile pour amuser la galerie. De celle qui convoie des petits mots rédigés au stylo-bille et dont l'enveloppe cartonnée dissimule de minuscules antisèches. Bref, je parle de cette gomme-là. Maintenant, venons-en au fait : pourquoi vouloir raconter l'histoire d'une gomme ?

Il se trouve que vers quatorze ou quinze ans j'ai passé une batterie de tests qui, je suppose, avaient pour but premier de m'aider à choisir une orientation. J'ai le souvenir d'exercices de logique, de vocabulaire, d'une rédaction et d'un entretien où nous avons analysé ma "rose des vents"qui n'était à vrai dire pas très difficile à appréhender : un intérêt majeur pour les sciences, un intérêt tout aussi développé pour l'Art. Aucun des deux ne se dément aujourd'hui, même si plus le temps passe, plus je me demande si j'ai finalement choisi la bonne orientation.

La rédaction, ou ce qui en tenait lieu, consistait à écrire l'histoire d'une "gowm". Je le confesse : en entendant les consignes, nous nous sommes tournés les uns vers les autres, l'air perplexe, puis quelqu'un s'est dévoué et a posé la question qui brûlait les lèvres de chacun d'entre nous :

- L'histoire d'une quoi ?
- D'une gowm ! Bah ! Vous savez tous ce que c'est qu'une gowm, non ? a insisté la surveillante.
- Euh oui, bien sûr enfin... c'est-à-dire ?
- Et bien une gowm ! Vous en avez tous une dans la trousse !

Soudain, la lumière a surgi dans un coin de nos méninges et un élève s'est exclamé :

- Mais oui, elle veut dire une gomme ! L'histoire d'une gomme !
- Ahhhh, avons-nous repris en choeur, une gomme !
- Oui, c'est ce que j'ai dit :  une gowm, a-t-elle conclu.

Diantre, l'histoire d'une gowm ! L'épreuve durait une quinzaine de minutes ; il ne fallait donc pas traîner, surtout lorsque comme moi, on écrit lentement. L'imagination a jailli de suite : au bout de quelques minutes, j'avais déjà en tête plusieurs aventures à faire vivre à cette brave petite gomme ; cependant il me fallait en choisir une promptement et la poser sur le papier. Peu avant la fin du temps imparti, enthousiasmée par la rédaction de ce conte, j'ai hasardé un regard sur la copie de ma voisine. Celle-ci peinait manifestement à démarrer son récit : il n'y avait qu'une ligne et demie sur sa copie et cela parlait d'un "élève qui avait passé sa gomme à son voisin en cours d'anglais". Je me rappelle encore avoir été emplie d'une certaine commisération à ce moment-là, non pas parce que cette adolescente n'arrivait pas à répondre aux exigences de l'énoncé, mais parce que ses quelques mots montraient à quel point elle était ancrée dans le quotidien et incapable de s'en extraire. Or à cette époque déjà j'avais compris combien l'imagination se révèle puissante lorsqu'il s'agit d'habiller un quotidien terne de parures plus colorées. Depuis de longues années je vivais une double vie en rêve, que dis-je, une double, triple, quadruple vie ! Je regrettais amèrement que la vie fût si courte et que le temps passé sur Terre ne me permît pas d'aller au bout de tout ce que j'avais envie de réaliser. Vivre une seule et unique vie m'apparaissait comme assommant et passablement étriqué ; aussi m'évader quotidiennement de la triste réalité du lycée pour me lancer dans d'autres aventures s'était-il au fil du temps imposé comme une évidence.

Hélas, au moment du ramassage des copies, j'en étais encore à décrire le sauvetage de la petite gomme tombée dans un caniveau un jour d'orage, et je n'avais plus le temps d'achever le récit, et cela me laissait avec un vif sentiment d'insatisfaction. Lors de l'analyse de mon dossier, j'ai tenté de raconter la fin de l'histoire de vive voix mais cela n'intéressait manifestement pas l'analyste à qui ma composition avait fourni suffisamment d'éléments pour me placer dans la catégorie "artiste en herbe". Je crois n'avoir jamais raconté à personne le dénouement de l'histoire, même si chacun sait qu'un conte digne de ce nom se termine généralement par une morale à la Jean de La Fontaine : "et [elle] jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus". Aussi ai-je décidé de vous raconter dans le prochain article l'histoire d'une gomme. Le scénario est d'époque, en revanche la narration est d'aujourd'hui, car je n'ai pas été autorisée à conserver mon brouillon après les tests. Je peux cela dit vous assurer que vous ne perdez pas au change...

En attendant, pour les curieux oisillons qui se demandent à juste titre : "mais pourquoi est-ce que la gomme efface ?", voici l'explication de ce phénomène [1] : lorsque l'on écrit sur une feuille avec un crayon de papier, la mine en graphite de ce dernier use la surface du papier et y dépose des particules de graphite, qui se retrouvent ensuite emprisonnées dans les fibres du papier. La gomme en caoutchouc arrache tout simplement les particules emprisonnées dans les fibres avant de les éliminer sous forme de "gommures", un mélange de caoutchouc et de carbone. Ce faisant, les mots sont effacés, la gomme s'use, et la feuille aussi !

* Petit clin d’œil à ma propre maman qui m'a fait la guerre des années durant au sujet des "gommures" que je laissais traîner partout.