lundi 12 juin 2017

Une expérience de Ramadan - Troisième Partie

La deuxième semaine de jeûne fut à la fois plus complexe et plus simple : j’avais pris le rythme et même si je luttais contre des aigreurs d’estomac qui me tenaient éveillée la nuit (j’ai compris depuis que cela fait partie des effets secondaires potentiels du jeûne), je ne souffrais que modérément de la faim et de la fatigue, y compris dans les jours qui suivirent mon don de sang. Je me consacrais à ce moment-là aux sourates Pré-Hégiriennes, c’est-à-dire aux sourates révélées entre 610 ou 612 et l’Hégire (en 622), qui traitent majoritairement du monothéisme, du Jugement dernier et de la résurrection, et introduisent les piliers de la foi.

Avant toute chose, j’aimerais clarifier la terminologie employée dans le Livre1 : le mot « mécréant » n’y figure pas et est remplacé par « négateur », plus proche de l’original arabe « kâfir », littéralement « celui qui nie ». Dans le texte, les mécréants à qui l’Enfer est annoncé ne sont donc pas ceux qui de près ou de loin vivent à l’Occidentale ou ne pratiquent pas la religion de la même manière que les intégristes (qui se plaisent pourtant à mettre ce mot à toutes les sauces), mais tout simplement les gens qui nient l’existence du Dieu Unique et combattent directement ou indirectement l’Islam (cela peut passer tant par des affrontements physiques que par des incitations à abandonner leur foi). Pour rappel, les attaques envers l’Islam étaient nombreuses à l’époque dans le cadre d’une Arabie polythéiste ; le message de Mohammed avait dès le début suscité de nombreuses oppositions, critiques et révoltes, et certains clans s’étaient même concertés dans l’intention d’assassiner le Prophète !

A peu près dix jours après avoir commencé mon jeûne (soit huit jours après le début de Ramadan), j’avais achevé la lecture de toutes les sourates rédigées avant l’Hégire, et j’avais également remarqué que beaucoup de ces sourates contenaient des arguments récurrents :
  • Dieu a créé tout ce qui nous entoure : le Ciel, la Terre, les arbres, les nuages etc. C’est Lui qui fait tomber la pluie, qui fait germer les plantes et sortir de terre les tiges, c’est Lui qui assure l’alternance du soleil et de la lune, le rythme des marées etc. Généralement, ces arguments étaient suivis d’une conclusion du type « ce sont pourtant des signes évidents pour ceux qui croient. »
  • Il ne sert à rien de demander à Mohammed d’opérer un miracle pour prouver sa légitimité en tant que Prophète car les miracles viennent seulement de Dieu ; or Celui-ci n’a pas jugé nécessaire d’y recourir pour convaincre les Hommes de croire en Lui.
  • Au jour du Jugement, Dieu punira sévèrement les négateurs et récompensera les croyants. Les premiers iront en Enfer où ils seront jetés dans un brasier ardent et se nourriront de pus et d’eau brûlante. Les seconds iront au Paradis où coulent de frais ruisseaux, où l’on se nourrit de fruits et de douceurs, où l’on est vêtu de soie et assis sur des coussins confortables, et où nos épouses sont belles et éternellement jeunes. Dieu seul connaît l’heure du Jugement et nul ne peut l’avancer ou la reculer d’une seule seconde.
  • Avant Mohammed, de nombreux autres prophètes ont été investis de la même mission de transmettre le message divin et d’avertir les négateurs de ce qui les attend : Abraham, Noé, Moïse, Loth, Hûd etc. Pourtant les hommes se sont à chaque fois détournés d’eux et les ont trahis, trahissant par là-même leur Créateur. Alors la vengeance divine s’est abattue sur eux et ils ont été punis à la mesure de leurs péchés. En règle générale la ville ou le royaume en question ont été totalement détruits (dans le cas de Noé, il s’agissait même de la Terre entière).
J’ai trouvé la lecture des sourates mecquoises enrichissante quoique un peu répétitive. Je reconnais avoir été gagnée par moments par une certaine impatience en retrouvant page après page les mêmes arguments visant à convaincre les polythéistes de croire à la Révélation2. C'est peut-être simpliste, mais ceux qui ont été insensibles à ces arguments la première fois ne le seront-ils pas tout autant la deuxième ou la troisième fois ? S’ils ne se laissent pas convaincre par tel ou tel argument, c’est visiblement que pour eux les « signes évidents » ne le sont pas ! Mais si l’on tient compte du contexte historique de la Révélation, on voit bien que le ralliement à Mohammed n’a pas été immédiat et que chaque sourate n’était pas forcément destinée aux mêmes personnes ; car entre temps, la situation sociale, géographique ou historique avait changé et le besoin de rappeler les bases se faisait sentir. Aussi les phrases précédentes ne sont-elles pas à prendre comme une critique mais comme la remarque d’une néophyte qui avalait sans doute les pages un peu vite.

Bien que le Coran soit venu confirmer les écritures datant d’avant la Révélation, la représentation de Dieu dans les sourates mecquoises m’a semblé à la fois proche et éloignée de l’idée que les gens du Livre se font de lui : on y trouvait à la fois le Dieu d’amour et de miséricorde des Évangiles et le Dieu sévère et guerrier du l’Ancien Testament. Le ton employé en ce qui concerne les négateurs était particulièrement véhément, à l’image je suppose des attaques portées par ceux-ci contre le Prophète et contre les premiers croyants. Les menaces de châtiment dans l’Au-delà étaient elles aussi on ne peut plus claires, et je peux imaginer ce qu’ont ressenti les habitants de La Mecque lorsque la Révélation leur est parvenue pour la première fois.

Pour ma part, si un certain nombre d’arguments faisant écho à ce en quoi je croyais déjà, l’approche dualiste récompense/punition avait de quoi m'interpeller ; un peu comme si, pour gagner le Paradis, il suffisait de soutenir mordicus deux ou trois croyances et d’adopter deux ou trois pratiques rituelles. Et le cheminement vers la foi dans tout cela ? Car si la foi « apparente » n’est que l’affaire de postures et d’actes publics et peut se décider sous un coup de tête, la foi « intérieure », qui s’enracine dans le cœur du croyant et l’accompagne dans les pires épreuves, ne se décrète pas ! D’ailleurs, il y est fait allusion dans le Coran lui-même : la lecture et la méditation du texte sont recommandées (de préférence la nuit où les conditions sont plus propices à la spiritualité) tandis que l’hypocrisie est vivement condamnée, et pas uniquement dans les sourates mecquoises ! Compte tenu du fait que le texte coranique a été révélé sur une période d’environ vingt ans (entre 610-612 et 632), il y a fort à parier que l’hypocrisie n’a jamais cessé d’être d’actualité (et qu’en dire de nos jours ?).

************************************************************
1Traduction française de Mohammed Chiadmi.
2Mon sentiment était lié également au fait que les sourates étaient de longueur faible ou moyenne et que par conséquent j’en lisais plusieurs chaque jour. Aussi retrouvais-je à quelques pages d’intervalle des arguments qui avaient en réalité été présentés devant les négateurs sur des périodes de temps allant de quelques mois à plusieurs années.

vendredi 2 juin 2017

Ramadan experience - Part II

The first days of fasting period were a bit harsh: I didn’t really know what to expect and I was lacking preparation. To be fair, I didn’t plan actually to start fasting on Thursday 24 (day of the Ascension), but…I was having a walk in a park and I suddenly decided it would be my first day of fasting. Of course, I didn’t have a proper breakfast considering I’d eat more at lunch, and of course it was hot. However, in spite of starving all day long, I found kind of nice to spend the afternoon reading about religion; and I found amusing to pray at fixed times. Unfortunately, I did a huge mistake in the evening: I ate too much and slept poorly; I don’t even know if I managed to get one hour of sleep that night, as I had to get up early for breakfast.

The second day of fasting was by far the worst of all: because of tiredness, I spent the whole day fighting against a migraine which I could only get rid off by taking some medicine in the evening. For breakfast I had eaten quite a lot, in order to set a good example for next days and force my body not to ask for too much food at dinner. As a consequence, I felt dizzy when I left for my morning walk; the great air did me good though and when I came back I felt much better. I carried on reading, but not so avidly as the day before because I had an appointment outside (again it was so hot…). When I went back home I happily discovered in my mail box the translation of the Qur’an I was waiting for. Too tired to open it right now, I promised myself I would start reading it the next day, from 7 am sharp. On the second day of fasting, I missed zuhur (I was at my appointment), and completely forgot asr and maghrib; so I decided to set alarms on my phone not to forget them on the next days.

On the third day, things started to get better: I hadn’t made a full night but I felt refreshed, though tired; the migraine had gone for good and thanks to clouds in the morning, the air was chilly. I started devouring the Qur’an, reading first the numerous (and excellent) historical and theological explanations contained in the present edition, then reading the sûra in chronological order. I raise your attention on the fact I didn’t start reading the sûra in their order of appearance in the Book; at that time it appeared as a logical way to proceed in order to spot the evolution of the Revelation with time and as a smart approach as I truly think that in order to better understand scriptures, you have to put things back into their context first. In addition, by reading the sûra in chronological order, I avoided going back and forth in time and getting confused with the events. Usually, the sûra revealed in Mecca (before Hegira) are short, and so are their verses; they’re logically to be found at the end of the Book (the sûra are sorted by decreasing lengths, except from the first one, Al-fatiha, the Opening). I really liked this reading and on the fourth day, I spent several hours doing that. On the contrary I disliked having to pray at fixed hours: the alarm rang for zuhur whereas I was reading the Qur’an; for asr, I didn’t manage to join the prayer with my heart (I simply didn’t feel the need to pray at that time); for maghrib, I was setting the table and got surprised but this time, prayer went more easily.

So I would say that the first four days left me with mixed feelings. Giving up food was not really a problem, as I sometimes skip lunch when I’m on meeting or when I’m in a writing process. I still got some concerns about how well I would respond to tiredness, but after a few rocky nights I wasn’t dead, I was even feeling quite good. However I really disliked the praying at fixed times, which reminded me my retreat in Buddhist monastery when I felt kind of suffocating in front of all the rituals, before I finally found my feet. An inside voice was telling me to persevere, but I felt spiritually frustrated, and every night I wondered why I decided to engage into fasting this year inasmuch as there was no real difference with the hours I usually spend every day reading or writing on religious matters. A part of me wanted to give up and be free from this insane schedule, and I doubted that retreating from the world for one whole month to do “just reading and praying” could be fulfilling for anyone. My reaction was echoing my greatest fear in life: becoming enslaved to my agenda, being unable to pray whenever I desire or feel the need to, bridle my spirituality and confine it in-between the limits of a dogma or a rite.

Then I realized that I was maybe too severe when approaching the situation: on one hand I was setting the bar too high, and one the other hand I was lacking flexibility. I had given up all my regular activities to sit most of the day and read; surely it was enriching but at the end of the day, I wasn’t feeling closer to God, nor did I have the impression that my day had been of any use to anyone. I rushed through a basic and unappealing dinner, which I considered as a necessity more than a celebration, whereas I usually love cooking as much as eating. I absolutely wanted to keep away from heat and tiredness, so I stayed inside my apartment… but I live on my own so I didn’t even have the joy of sharing dinner with my family or friends. So on the fifth day, I started by reading the Qur’an for a while, but then I did the washing, the cleaning, the ironing, I cooked for several hours and I even got some time to visit a friend. Believe me, from this day on, I felt much better, at peace and less frustrated. I was less bothered by the prayer schedule. And I started to enjoy the experience, wishing it tocontinue.

Une expérience de Ramadan - Deuxième Partie

Le début de la période de jeûne fut un peu difficile : j’ignorais ce qui m’attendait et donc je manquais de préparation. Je n’avais pas prévu de commencer le jeudi de l’Ascension, mais… au cours d’une promenade vers midi, j’ai soudainement décrété que ce jour serait celui où je commencerais mon jeûne. Bien évidemment, je n’avais pas assez mangé le matin, pensant me rattraper à midi, et il faisait vraiment chaud. Mais mis à part l’estomac qui criait famine, c’était agréable de passer l’après-midi à lire des textes en rapport avec la religion ; prier à heures fixes m’a semblé plutôt amusant. Hélas, ce soir-là j’ai commis l’erreur de débutante de manger trop lourd et ma nuit fut affreuse ; j’ignore même si j’ai fini par m’assoupir, mais de toute manière je devais me lever tôt pour le repas du matin.

Cette deuxième journée de jeûne fut de loin la plus éprouvante : à cause de la fatigue, je me suis battue avec une migraine qui ne m’a lâchée que le soir quand, de guerre lasse, j’ai pris un cachet. Je m’étais forcée à manger copieusement le matin afin de prendre de suite les bons réflexes, mais au sortir de table j’avais une vague nausée. Finalement, le malaise s’est passé en allant marcher au parc à la fraîche. J’ai poursuivi mes lectures, mais pas aussi assidûment que la veille car j’avais un rendez-vous au dehors (et de nouveau il faisait chaud…). En rentrant, j’ai eu le grand bonheur de découvrir dans ma boîte aux lettres la nouvelle traduction du Coran que j’attendais [pour mémoire, celle de Mohammed Chiadmi]. J’étais trop fatiguée pour l’ouvrir de suite mais je me promis de commencer à la lire dès le lendemain. En revanche ce jour-là, j’ai manqué zuhur (jétais en ville) et totalement oublié asr et maghrib ; aussi ai-je décidé de mettre une alarme sur mon téléphone pour les jours suivants.

Le troisième jour, les choses ont commencé à s’améliorer : la nuit n’ayant pas été très longue, j’étais encore fatiguée mais je me sentais reprendre des forces, la migraine avait disparu et le ciel voilé avait amené un peu de fraîcheur. J’ai commencé à dévorer le Coran en commençant par les nombreuses explications historiques et théologiques présentes dans cette édition, puis en prenant les sourates, non pas dans leur ordre de classement, mais dans celui de leur révélation. Cela me semblait logique pour mieux comprendre l’évolution de la Révélation, et judicieux dans la mesure où il est important de replacer chaque texte dans son contexte. En lisant les sourates dans l’ordre chronologique, j’évitais les allers-retours dans le temps et les inévitables confusions. En général, les sourates révélées à La Mecque (soit avant l’Hégire) sont courtes ainsi que leurs versets, et se situent donc vers la fin de l’ouvrage (les sourates sont classées par ordre de taille décroissante, à l’exception de la première, la fatiha, que l’on nomme aussi l’ouverture). J’ai beaucoup apprécié cette lecture, et y ai consacré quelques heures le quatrième jour. En revanche, je n’ai pas aimé prier aux heures fixées : pour zuhur, l’alarme a retenti alors que j’étais en pleine lecture d’une sourate ; pour asr, je n’arrivais pas à me prier avec mon cœur (je n’avais tout simplement PAS envie de prier à ce moment-là) ; maghrib m’a surprise alors que je mettais la table, mais cette fois la prière est venue plus facilement.

Le bilan des quatre premiers jours s’est avéré mitigé. L’absence de nourriture ne me dérangeait pas, même si je ressentais la faim avec plus ou moins d’intensité suivant l’heure ; il faut dire que cela m’arrive de temps en temps de sauter le repas du midi lorsque je suis en phase d’écriture ou que j’ai une réunion. Il me restait une appréhension liée à la fatigue accumulée, mais je me rendais compte parallèlement qu’en dépit d’une nuit blanche et de nuits un peu courtes, je me sentais bien. En revanche, respecter le rythme imposé me déplaisait au plus haut point, et je retrouvais la sensation d’étouffement que j’avais ressentie lors de ma retraite au monastère bouddhiste, avant d’avoir trouvé mes marques. Même si une voix en moi me poussait à essayer encore, spirituellement je me sentais frustrée et chaque soir, je me demandais pourquoi j’avais décidé de faire ce jeûne, dans la mesure où je ne voyais pas beaucoup de différence avec les heures que je passe en temps normal à lire ou écrire en rapport avec la religion. J’avais envie d’arrêter et de reprendre ma liberté, je ne comprenais pas comment on pouvait s’estimer heureux d’avoir à se mettre en retrait de la sorte pendant un mois entier. Car voilà bien ma grande crainte : ne plus être libre de mon emploi du temps, ne plus pouvoir prier quand j’en ressens l’envie ou le besoin, brider ma spiritualité et l’enfermer entre les limites d’un dogme ou d’un rite.

Puis j’ai réalisé que mon approche de la question était sans doute trop sévère, que d’un côté je mettais la barre trop haut et de l’autre, je manquais de flexibilité. J’avais abandonné toutes mes activités habituelles pour rester assise à lire, c’était certes enrichissant mais je n’avais pas plus l’impression de m’être rapprochée de Dieu que d’avoir fait quelque chose d’utile de ma journée. En parallèle, j’expédiais le repas du soir que je jugeais purement utilitaire, alors que depuis toujours j’aime autant cuisiner que manger. Vouloir me préserver à tout prix de la fatigue et de la chaleur n’était pas forcément une bonne idée, d’autant plus que je vis seule et que vu l’incongruité de ma démarche, je n’avais même pas le bonheur de rompre le jeûne au sein d’une communauté. Alors, le cinquième jour, j’ai longuement lu le Coran mais aussi, j’ai fait la lessive, le ménage et le repassage, j’ai passé plusieurs heures à préparer des plats attrayants pour la semaine, et j’ai trouvé du temps pour rendre visite à un ami. A partir de là, je me suis sentie beaucoup mieux, plus en paix et moins frustrée. Les horaires de prières ne me dérangeaient plus autant. Et j’ai eu envie de poursuivre ce beau voyage.