lundi 26 octobre 2015

Un taxi pour Tobrouk

Récemment a été rediffusé sur Arte un classique français sorti en 1961: Un taxi pour Tobrouk, avec à l'affiche, entre autres, Lino Ventura, Maurice Biraud et Charles Aznavour. Réalisé par Denys de la Patellière, ce film met en scène un terrible huit-clos dans le désert de Libye entre un officier allemand et quatre militaires français luttant pour la possession d'un véhicule, seul moyen de rejoindre El Alamein avant de mourir de soif ou d'épuisement. Le scénario s'inspire du roman éponyme de l'acteur et scénariste René Havard. Selon Pierre Bellemare, une histoire vraie en serait à l'origine : deux soldats danois et allemand se seraient perdus en 1943 lors d'une poursuite au Groenland et seraient rentrés chez eux, à demi morts, ensemble. [1]

L'histoire commence au Réveillon de Noël 1941 où l'on fait connaissance avec chacun des personnages : l'un des Français fête Noël au sein d'une famille anglaise qui l'a accueilli, un autre projette de s'évader de prison pour éviter la peine capitale, un autre encore quitte sa grand-mère pour rejoindre Londres, le dernier fuit la France en bateau pour échapper aux persécutions antisémites ; l'officier allemand quant à lui fête son troisième Noël de guerre dans son château en Poméranie et fait ses adieux à son épouse et à ses enfants. La suite de l'action se déroule en octobre 1942, dans le désert de Libye, près de Tobrouk. Lors d'un raid des Forces Françaises Libres sur une position allemande, les quatre Français se retrouvent livrés à eux-mêmes, leur supérieur ayant été tué dans l'attaque. Ils volent un véhicule et foncent à travers le désert, espérant rejoindre El Alamein. Le lendemain, un avion allemand les survole en reconnaissance ; bien que l'avion n'ait fait que patrouiller, l'un des Français a la mauvaise idée de l'abattre à la mitrailleuse. Avant de s'écraser, l'avion tire une rafale sur le véhicule et déclenche un début d'incendie. Les quatre hommes, indemnes, ne peuvent sauver qu'un peu d'eau et se retrouvent perdus au milieu du désert, sans vivres ni radio. Après avoir erré à pied dans l'immensité des dunes, ils repèrent les traces d'un véhicule, suivent la piste et surprennent une patrouille allemande occupée à déjeuner et bavarder à proximité de leur véhicule. Ils tuent les quatre Allemands assis dans leurs viseurs et s'emparent des vivres et du véhicule. Derrière celui-ci, ils découvrent un officier ennemi tentant de donner discrètement l'alerte par radio. Ils décident de le faire prisonnier et l'emmènent avec eux.

Le reste du film raconte leur cheminement à travers le désert vers El Alamein et l'évolution des sentiments et rapports humains : la tension omniprésente au début, la mise en place progressive d'échanges plus ou moins cordiaux, et pour finir la solidarité qui se crée entre les cinq hommes alors qu'égarés dans un champ de mines, ils ne peuvent compter que les uns sur les autres pour s'en tirer. La question se pose alors de laisser ou non partir l'officier allemand au lieu de le remettre aux forces françaises.

Ce film porte un message fort en montrant combien la guerre poussée à l'extrême peut aboutir à des situations humainement absurdes. La chute du film, que je ne dévoilerai pas, constitue le point culminant de cette critique du militarisme. C'est donc en vous recommandant chaudement le visionnage d'Un taxi pour Tobrouk que je referme cet article.

Mes Sources

lundi 19 octobre 2015

Instruments insolites et d'ailleurs - Le Santour

L'article d'aujourd'hui a pour objectif de vous présenter un instrument de musique millénaire que j'affectionne beaucoup : le santour iranien. Cet instrument à cordes frappées appartient à la famille des cithares sur table, mais se distingue de ces dernières par l'usage de baguettes (mezrab) munies d'un étouffoir, ce qui le rend proche du cymbalum et du piano. L'origine du santour est inconnue - certains prétendent qu'il remonterait aux Assyriens - mais depuis un peu plus de neuf cents ans, sa forme et son utilisation ont varié et il s'est répandu graduellement dans tout le Moyen-Orient et même jusqu'en Europe de l'Est ou en Inde par l'intermédiaire des Tziganes et des Juifs qui ont tiré parti de son poids léger pour l'emmener dans leurs pérégrinations. [1]

La famille des santours comprend cinq principaux instruments : le santour iranien, le plus ancien, le plus petit de tous, qui possède la sonorité la plus brillante ; le santour indien, plus volumineux mais rare car il se prête assez peu à la musique savante du pays ; le santour irakien, intermédiaire entre ses frères iranien et indien, employé uniquement de nos jours chez les Juifs irakiens ; le santour turc, aujourd'hui quasiment disparu en raison de l'impossibilité de s'adapter aux micro-modulations de la musique ottomane ; et le santouri grec, qui se rapproche du cymbalum par l'usage de petits maillets en lieu et place des mezrab. [1]

Le santour iranien est constitué d'une caisse de résonance en bois dur (bouleau, chêne, noyer...) percée de deux ouïes (traditionnellement en forme de fleurs ou de rosaces) et dotée de 72 cordes réparties par groupes de quatre. On en joue assis ou à genoux, par terre ou sur un coussin. Deux écoles existent pour la tenue des mezrab : les écoles anciennes frappent à l'aide du poignet seulement et tiennent les mezrab loin de l'instrument ; les écoles modernes utilisent le mouvement des doigts, des poignets et des même des bras, et jouent près de l'instrument. Deux types de frappe sont emblématiques du santour : le zang, frappe sèche et rapide qui s'obtient en fouettant les cordes à l'aide d'un mezrab, et le riz, sorte de roulement dont le geste rappelle le roulement des baguettes sur une caisse claire. [1]

L'Iran possède d'éminents santouristes, comme les frères Kamkar, Pashang et Ardavan, internationalement reconnus, et qui forment avec leurs cinq frères et sœur une impressionnante dynastie de virtuoses de la musique. Faramarz Payvar et Djalal Akhbari comptent également parmi les maîtres de cet instrument. [1] Ardavan Kamkar est de loin mon musicien préféré, pour sa dextérité et sa maîtrise absolue des baguettes mais également pour la construction rigoureuse de ses pièces, dont la structure me rappelle un autre de mes compositeurs favoris : Jean-Sébastien Bach.
Mais trêve de bavardages et place à la musique. Voici quelques vidéos que j'ai sélectionnées pour vous donner un aperçu de la diversité des pièces ou improvisations, solo ou non, classiques ou modernes, que l'on peut aujourd'hui entendre au santour. J'espère que vous serez réceptifs à cette sonorité mélancolique qui n'a jamais cessé de m'émouvoir.


Darya, la mer, composée et interprétée par Ardavan Kamkar

Un chaharmezrab consiste en une sorte de variation autour d'une note unique, une succession rapide de mouvements main droite - main gauche qui demande une certaine virtuosité.

Chaharmezrab composé par Faramarz Payvar et interprété par Tomos Brangwyn à l'ambassade d'Iran à Londres en 2011

Pour finir, voici deux preuves que le santour n'est pas qu'un instrument "classique" et qu'il peut être utilisé dans diverses compositions modernes où la palette de sons qu'il fournit est largement mise à contribution.

"Santour Navazan Ensemble" dirigé par Simiak Aghaei - concert donné en 2004 à l'université de lettres de Téhéran (album live Beyond our Path) [2]

Orchestre de la Radio Norvégienne dirigé par Peter Szilvay et composition de Javid Afsari Rad - concert donné en 2006

Et pour les curieux, voici une vidéo plus "généraliste". Il s'agit de l'un des Festivals de Santour de Téhéran à l'occasion duquel des artistes de diverses nationalités ont été invités pour faire découvrir les applications de cet instrument - ou de ses cousins - dans des musiques plus proches de nous, comme la musique hongroise.

Festival de Santour de Téhéran - année inconnue

Mes Sources

jeudi 15 octobre 2015

Processus de création littéraire/cinématographique

Il m'est parfois difficile de trouver des sujets d'inspiration pour le blog ; les actualités sont intéressantes mais ne donnent pas lieu à commentaires, une idée nouvelle n'est pas suffisamment mûre pour être développée, il manque des angles d'attaque à un point de vue... les raisons pour ne pas écrire sont multiples. Et pourtant, un sujet aurait dû me sauter aux yeux : écrire au sujet de l'écriture, quoi de plus évident ?

J'ai repris en début de semaine un vieux lien vers un article intitulé "De l'intérêt de rédiger un squelette de son scénario", que j'avais mis de côté en attendant de tester la méthode décrite sur l'une de mes histoires. L'idée est de réaliser une sorte de fiche comprenant les informations nécessaires à l'élaboration d'un bon scénario, en précisant par exemple :
  • le pitch (résumé succinct de l'intrigue de l'histoire) et le pitch thématique (le message véhiculé par l'histoire),
  • qui est le protagoniste et quels sont ses objectifs ?
  • l'élément déclencheur qui va lancer le protagoniste dans sa quête,
  • les obstacles internes (défauts ou failles du protagoniste) ou externes (autres personnages, événements) qui vont entraver le protagoniste dans sa quête,
  • le ou les climax, noeuds dramatiques de l'intrigue, déterminant le succès ou l'échec de la quête.
J'ai appliqué cette méthode au roman sur lequel je travaille en ce moment, Yadamtissar, dont l'intrigue me semblait plutôt bien élaborée. Le plus difficile est de dresser une liste exhaustive de ce que l'on appelle les ironies dramatiques, c'est-à-dire les éléments qu'un ou plusieurs personnages ignorent mais dont le lecteur est au courant ; car dans une intrigue politique et sentimentale où l'héroïne doit démêler les liens qui se resserrent autour de l'héritage de son père, les ironies dramatiques sont nombreuses. Ce dont je me réjouis, c'est d'avoir pu répondre aisément à chaque point de la méthode, preuve que le concept d'origine tient la route. C'était la bonne nouvelle de la journée !

Pour les curieux, voici l'adresse du site : http://www.scenario-buzz.com/2012/02/27/rediger-squelette-scenario/

mercredi 14 octobre 2015

"L'homme est un collier qu'une femme enlève et qu'une autre porte"

C'est avec ce proverbe de femmes mauritaniennes que j'ouvre cet article sur un intéressant documentaire que j'ai vu récemment au sujet des femmes beydanes: Meniha, Alia, Aïcha, reines du désert. Ce documentaire, produit en 2012 par Patrick Profit chez Atmosphère Production, et rediffusé il y a une dizaine de jours sur Arte, nous emmène à la découverte d'un matriarcat berbère en pays Maure, balayant certains des préjugés que l'on peut entretenir sur les régions de traditions musulmanes.

Au travers des témoignages de trois femmes d'âges différents (une grand-mère, une femme d'âge moyen et une jeune fille), nous évoluons dans un univers où l'homme est tenu à la monogamie et où la femme conserve son nom de jeune fille ainsi que l'usage total de sa dot, y compris en cas de divorce. Divorce qui est considéré avant tout comme un moyen de promotion sociale de la femme et non, comme dans de nombreuses cultures islamiques, comme une honte qui s'attachera à ses pas et dans certains cas entravera jusqu'à son accès à l'emploi. La femme beydane est respectée et choyée par son époux mais cela ne s'arrête pas là : elle peut divorcer de lui si elle juge qu'il n'est pas suffisamment généreux avec elle. Il n'a pas son mot à dire et n'a pas intérêt à s'accrocher longtemps à cette union car ce geste serait interprété par les autres hommes comme un aveu de faiblesse. Par ailleurs, plus une femme a eu de maris, plus elle apparaît comme respectable, car convoitée, et par conséquent plus elle aura de pouvoir au sein de sa communauté. Il est évident néanmoins que l'islam commande à la femme beydane de traiter son mari avec respect et équité.
La tente fait partie de la dot de la femme beydane et elle demeure sa propriété intégrale ; elle est libre d'y recevoir qui elle souhaite, homme comme femme ; son époux est toléré comme un invité qui la rejoint la nuit et y demeure suivant son bon plaisir ; aussi si elle s'absente de chez elle pendant plusieurs jours, elle peut tout simplement décider de faire démonter sa tente ou de la laisser inoccupée, auquel cas son époux devra aller vivre chez l'un de ses proches en attendant son retour. Culturellement, la tente est un espace strictement féminin et la présence d'un homme en son sein est incongrue dès lors qu'il s'y trouve seul.

A cent lieues du monde des femmes beydanes se trouve une autre Mauritanie, celle où se pratiquent encore l'excision et la polygamie et où survivent sporadiquement des traditions plus surprenantes : ainsi des petites filles ont-elles été gavées dès leur plus jeune âge en vue de leur mariage ; en effet, l'obésité, traditionnellement célébrée par les poètes et les chanteurs, a longtemps été considérée comme symbole de la réussite sociale de sa famille d'origine. Plus la jeune fille était grosse, et plus sa "valeur" chez les entremetteuses était importante. Dans les familles modestes, le gavage des petites filles commençait tôt afin de pouvoir rapidement les marier et ne plus avoir à subvenir à leurs besoins. On les retrouvait quelques années plus tard inactives et inemployées, destinées à servir de faire-valoir immobile à leurs époux. Même si aujourd'hui cette pratique a tendance à perdre du terrain, elle aurait concerné un tiers des femmes de quarante ans et plus en Mauritanie.

Je vous conseille également de lire un très bon article sur le matriarcat sahraoui au Maroc: [3], ainsi que d'explorer le site http://matricien.org, portail de connaissances sur le matriarcat et le patriarcat, leur Histoire, leur géographie, la sociologie associée, leur rapport à la religion, la littérature à ce sujet, et même le rapport... à la science-fiction !

Mes Sources

mardi 13 octobre 2015

Ma tête pardonne, mon cœur refuse.

Vous est-il déjà arrivé de vouloir pardonner à quelqu'un mais qu'une partie de votre être s'y refuse ? Lorsque la tête trouve des circonstances atténuantes mais que le cœur reste intransigeant, drapé dans sa douleur et les réminiscences difficiles, lorsque malgré toutes les tentatives de se raisonner un chagrin insupportable se blottit dans le creux de la poitrine et ne veut plus en bouger ? Lorsque la tête pardonne mais pas le cœur ?

Je suis tombée par hasard sur un conte africain qui m'a touchée et que je voulais partager avec vous.


L’arbre aux trésors

Un jour de grande chaleur, un lièvre fit halte dans l’ombre d’un baobab, s’assit sur son train et contemplant au loin la brousse bruissante sous le vent brûlant, il se sentit infiniment bien.  » Baobab, pensa-t-il, comme ton ombre est fraîche et légère dans le brasier de midi !  » Il leva le museau vers les branches puissantes. Les feuilles se mirent à frissonner d’aise, heureuses des pensées amicales qui montaient vers elles. Le lièvre rit, les voyant contentes. Il resta un moment béat, puis clignant de l’oeil et claquant de la langue, pris de malice joyeuse :  » Certes ton ombre est bonne, dit-il. Assurément meilleure que ton fruit. Je ne veux pas médire, mais celui qui me pend au-dessus de la tête m’a tout l’air d’une outre d’eau tiède. Le baobab, dépité d’entendre ainsi douter de ses saveurs, après le compliment qui lui avait ouvert l’âme, se piqua au jeu. Il laissa tomber son fruit dans une touffe d’herbe. Le lièvre le flaira, le goûta, le trouva délicieux. Alors il le dévora, s’en pourlécha le museau, hocha la tête. Le grand arbre, impatient d’entendre son verdict, se retint de respirer.  » Ton fruit est bon, admit le lièvre.  » Puis il sourit, repris par son allégresse taquine, et dit encore :  » Assurément, il est meilleur que ton coeur. Pardonne ma franchise : ce coeur qui bat en toi me paraît plus dur qu’une pierre « . Le baobab, entendant ces paroles, se sentit envahi par une émotion qu’il n’avait jamais connue. Offrir à ce petit être ses beautés les plus secrètes, Dieu du ciel, il le désirait, mais, tout à coup, quelle peur il avait de les dévoiler au grand jour ! Lentement, il entrouvrit son écorce. Alors apparurent des perles en colliers, des pagnes brodés, des sandales fines, des bijoux d’or. Toutes ces merveilles qui emplissaient le coeur du baobab se déversèrent à profusion devant le lièvre dont le museau frémit et les yeux s’éblouirent.  » Merci, merci, tu es le meilleur et le plus bel arbre du monde,  » dit-il, riant comme un enfant comblé et ramassant fiévreusement le magnifique trésor.
Il s’en revint chez lui, l’échine lourde de tous ces biens. Sa femme l’accueillit avec une joie bondissante. Elle déchargea à la hâte de son beau fardeau, revêtit pagnes et sandales, orna son cou de bijoux et sortit dans la brousse, impatiente de s’y faire admirer de ses compagnes.
Elle rencontra une hyène. Cette charognarde, éblouie par les enviables richesses qui lui venaient devant, s’en fut aussitôt à la tanière du lièvre et lui demanda où il avait trouvé ces ornements superbes dont son épouse était vêtue. L’autre lui conta ce qu’il avait dit et fait, à l’ombre du baobab. La hyène y courut, les yeux allumés, avides des mêmes biens. Elle y joua le même jeu. Le baobab que la joie du lièvre avait grandement réjouie, à nouveau se plut à donner sa fraîcheur, puis la musique de son feuillage, puis la saveur de son fruit, enfin la beauté de son coeur.
Mais, quand l’écorce se fendit, la hyène se jeta sur les merveilles comme sur une proie, et fouillant des griffes et des crocs les profondeurs du grand arbre pour en arracher plus encore, elle se mit à gronder :  » Et, dans tes entrailles, qu’y a-t-il ? Je veux aussi dévorer tes entrailles ! Je veux tout de toi, jusqu’à tes racines ! Je veux tout, entends-tu ?  » Le baobab, blessé, déchiré, pris d’effroi, aussitôt se referma sur ses trésors et la hyène insatisfaite et rageuse s’en retourna bredouille vers la forêt. Depuis ce jour, elle cherche désespérément d’illusoires jouissances dans les bêtes mortes qu’elle rencontre, sans jamais entendre la brise simple qui apaise l’esprit. Quant au baobab, il n’ouvre plus son coeur à personne. Il a peur. Il faut le comprendre : le mal qui lui fut fait est invisible, mais inguérissable.
En vérité, le coeur des hommes est semblable à celui de cet arbre prodigieux : empli de richesses et de bienfaits. Pourquoi s’ouvre-t-il si petitement quand il s’ouvre ? De quelle hyène se souvient-il ?


Source:
Conte africain, Henri Gougaud, L’arbre aux trésors, Ed. du Seuil


mardi 6 octobre 2015

Hôtel Rwanda

Aujourd'hui, mon coup de cœur va à un film de 2004 qui a été retransmis sur Arte mercredi dernier : Hôtel Rwanda, un drame réalisé par Terry Georges.

Hôtel Rwanda raconte quelques mois de la vie du directeur de l'hôtel luxueux des Mille Collines, Paul Rusesabagina, un Hutu marié à une Tutsi qui lui a donné quatre enfants. Alors qu'en avril 1994, à la suite de l'assassinat du président Hutu Habyarimana, éclatent les massacres marquant le début du génocide des Tutsis en avril 1994, Paul se bat pour protéger et faire évacuer une grande partie des 1268 Tutsis et Hutus modérés qui ont trouvé refuge dans son hôtel. Faisant appel à ses relations, tant au sein du pouvoir Hutu en place que parmi les expatriés et notables de divers pays, Paul parvient à tenir à distance les milices Hutus qui ont pris les armes, le temps d'obtenir de l'aide, d'abord des casques bleus, puis du pouvoir en place, et enfin des gouvernements étrangers qui délivreront des visas pour accueillir une partie des réfugiés. Lui-même sera évacué en 1996 vers la Belgique où il vit encore avec toute sa famille. [1]

Ce film décrit le climat de haine et les tensions exacerbées qui régnaient à Kigali à la veille du génocide ainsi que l'horreur des massacres qui feront plus de 800 000 morts entre avril et juillet 1994, sans pour autant s'appesantir sur les aspects macabres du génocide. Il raconte également l'absurdité des origines des divisions entre ces deux ethnies et montre les conséquences dramatiques de la promotion de l'une par rapport à l'autre sur le plan politique et économique. Il condamne la propagande aveugle et salue le courage de tous ceux qui, soldats, membres d'ONG, religieux ou simples citoyens, ont risqué leur vie pour soustraire le maximum de personnes aux massacres. Enfin, il relate l'impuissance des casques bleus face au désengagement progressif des armées européennes auprès de l'armée rebelle tutsi. 

Pour moi qui étais enfant à cette époque-là, le Rwanda n'était qu'un pays d'Afrique où l'on se battait, tout comme on se battait à Sarajevo ; aussi les aspects historiques et sociaux du génocide m'ont-ils particulièrement intéressée. Bien entendu, ce film s'appuie sur les témoignages des rescapés des Mille Collines ainsi que sur l'autobiographie de Paul Rusesabagina, Un homme ordinaire ; ce dernier a également participé à la réalisation du film, ce qui a par la suite soulevé une controverse, en particulier parmi les soutiens du président Kagamé.  On a reproché à Paul d'avoir enjolivé la réalité et dissimulé sous des actions héroïques des desseins bien plus vénaux. [2] [3] On lui a également reproché ses connexions avec les leaders Hutus ainsi qu'avec les Occidentaux résidant ou en visite au pays. Je ne tournerais pas les choses de cette manière-là : s'il a pu protéger plus d'un millier de personnes, dont sa propre famille, c'est justement grâce à ses connexions, ce dont a posteriori, personne ne pourrait le blâmer. Du reste, quiconque ayant vécu dans certains pays d'Afrique sait que si l'on veut que son business continue à tourner, il faut savoir rendre "service" et distribuer des faveurs.

Je n'ai aucun élément concret pour me faire une idée sur la question de l'authenticité du récit, et je me doute qu'il y a des éléments inexacts ou passés sous silence. [4] De plus, chaque création artistique est indissociable de la sensibilité de l'artiste et du message qu'il veut faire passer. Mais pour tout vous dire, je m'en contrefiche : ce film en lui-même est un plaidoyer suffisant pour la paix et le respect de ses semblables, et c'est tout ce que je lui demande.

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