Le début de la période de jeûne
fut un peu difficile : j’ignorais ce qui m’attendait et donc je manquais
de préparation. Je n’avais pas prévu de commencer le jeudi de l’Ascension,
mais… au cours d’une promenade vers midi, j’ai soudainement décrété que ce jour
serait celui où je commencerais mon jeûne. Bien évidemment, je n’avais pas
assez mangé le matin, pensant me rattraper à midi, et il faisait vraiment
chaud. Mais mis à part l’estomac qui criait famine, c’était agréable de passer
l’après-midi à lire des textes en rapport avec la religion ; prier à
heures fixes m’a semblé plutôt amusant. Hélas, ce soir-là j’ai commis l’erreur
de débutante de manger trop lourd et ma nuit fut affreuse ; j’ignore même
si j’ai fini par m’assoupir, mais de toute manière je devais me lever tôt pour
le repas du matin.
Cette deuxième journée de jeûne
fut de loin la plus éprouvante : à cause de la fatigue, je me suis battue
avec une migraine qui ne m’a lâchée que le soir quand, de guerre lasse, j’ai
pris un cachet. Je m’étais forcée à manger copieusement le matin afin de
prendre de suite les bons réflexes, mais au sortir de table j’avais une vague
nausée. Finalement, le malaise s’est passé en allant marcher au parc à la
fraîche. J’ai poursuivi mes lectures, mais pas aussi assidûment que la veille
car j’avais un rendez-vous au dehors (et de nouveau il faisait chaud…). En
rentrant, j’ai eu le grand bonheur de découvrir dans ma boîte aux lettres la nouvelle
traduction du Coran que j’attendais [pour mémoire, celle de Mohammed Chiadmi]. J’étais trop fatiguée pour l’ouvrir de
suite mais je me promis de commencer à la lire dès le lendemain. En revanche ce
jour-là, j’ai manqué zuhur (jétais en
ville) et totalement oublié asr et maghrib ; aussi ai-je décidé de
mettre une alarme sur mon téléphone pour les jours suivants.
Le troisième jour, les choses ont
commencé à s’améliorer : la nuit n’ayant pas été très longue, j’étais
encore fatiguée mais je me sentais reprendre des forces, la migraine avait disparu
et le ciel voilé avait amené un peu de fraîcheur. J’ai commencé à dévorer le
Coran en commençant par les nombreuses explications historiques et théologiques
présentes dans cette édition, puis en prenant les sourates, non pas dans leur
ordre de classement, mais dans celui de leur révélation. Cela me semblait
logique pour mieux comprendre l’évolution de la Révélation, et judicieux dans
la mesure où il est important de replacer chaque texte dans son contexte. En
lisant les sourates dans l’ordre chronologique, j’évitais les allers-retours
dans le temps et les inévitables confusions. En général, les sourates révélées
à La Mecque (soit avant l’Hégire) sont courtes ainsi que leurs versets, et se
situent donc vers la fin de l’ouvrage (les sourates sont classées par ordre de
taille décroissante, à l’exception de la première, la fatiha, que l’on nomme aussi l’ouverture). J’ai beaucoup apprécié
cette lecture, et y ai consacré quelques heures le quatrième jour. En revanche,
je n’ai pas aimé prier aux heures fixées : pour zuhur, l’alarme a retenti alors que j’étais en pleine lecture d’une
sourate ; pour asr, je
n’arrivais pas à me prier avec mon cœur (je n’avais tout simplement PAS envie
de prier à ce moment-là) ; maghrib
m’a surprise alors que je mettais la table, mais cette fois la prière est venue
plus facilement.
Le bilan des quatre premiers
jours s’est avéré mitigé. L’absence de nourriture ne me dérangeait pas, même si
je ressentais la faim avec plus ou moins d’intensité suivant l’heure ; il
faut dire que cela m’arrive de temps en temps de sauter le repas du midi
lorsque je suis en phase d’écriture ou que j’ai une réunion. Il me restait une
appréhension liée à la fatigue accumulée, mais je me rendais compte
parallèlement qu’en dépit d’une nuit blanche et de nuits un peu courtes, je me
sentais bien. En revanche, respecter le rythme imposé me déplaisait au plus
haut point, et je retrouvais la sensation d’étouffement que j’avais ressentie
lors de ma retraite au monastère bouddhiste, avant d’avoir trouvé mes marques. Même
si une voix en moi me poussait à essayer encore, spirituellement je me sentais
frustrée et chaque soir, je me demandais pourquoi j’avais décidé de faire ce
jeûne, dans la mesure où je ne voyais pas beaucoup de différence avec les
heures que je passe en temps normal à lire ou écrire en rapport avec la
religion. J’avais envie d’arrêter et de reprendre ma liberté, je ne comprenais
pas comment on pouvait s’estimer heureux d’avoir à se mettre en retrait de la
sorte pendant un mois entier. Car voilà bien ma grande crainte : ne plus
être libre de mon emploi du temps, ne plus pouvoir prier quand j’en ressens
l’envie ou le besoin, brider ma spiritualité et l’enfermer entre les limites
d’un dogme ou d’un rite.
Puis j’ai réalisé que mon
approche de la question était sans doute trop sévère, que d’un côté je mettais
la barre trop haut et de l’autre, je manquais de flexibilité. J’avais abandonné
toutes mes activités habituelles pour rester assise à lire, c’était certes
enrichissant mais je n’avais pas plus l’impression de m’être rapprochée de Dieu
que d’avoir fait quelque chose d’utile de ma journée. En parallèle, j’expédiais
le repas du soir que je jugeais purement utilitaire, alors que depuis toujours
j’aime autant cuisiner que manger. Vouloir me préserver à tout prix de la
fatigue et de la chaleur n’était pas forcément une bonne idée, d’autant plus
que je vis seule et que vu l’incongruité de ma démarche, je n’avais même pas le
bonheur de rompre le jeûne au sein d’une communauté. Alors, le cinquième jour,
j’ai longuement lu le Coran mais aussi, j’ai fait la lessive, le ménage et le
repassage, j’ai passé plusieurs heures à préparer des plats attrayants pour la
semaine, et j’ai trouvé du temps pour rendre visite à un ami. A partir de là,
je me suis sentie beaucoup mieux, plus en paix et moins frustrée. Les horaires de prières ne me dérangeaient plus autant. Et j’ai eu
envie de poursuivre ce beau voyage.
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