La note d'aujourd'hui fait référence à un article paru dans le dernier Courrier International [1] et adressé par la journaliste américaine Elizabeth Winkler à la France : "abjurer la laïcité". Derrière ce titre un peu accrocheur se cache une réflexion autour de l'idée que l'obsession de la laïcité affichée par l'Etat français et ses institutions serait contre-productive puisque cela reviendrait non pas à préserver la liberté de culte mais à l'étouffer. Cet article rappelle, arguments à l'appui, que le concept de laïcité a aujourd'hui largement dépassé la simple séparation de l'Eglise et de l'Etat mise en place au début du siècle dernier afin de soustraire le gouvernement à l'influence de l'Eglise Catholique. Et un paradoxe simple est apparu : on promeut la laïcité au sein des écoles et des administrations afin de faciliter l'intégration des communautés les plus fragiles, mais dans le même temps on interdit toute manifestation de croyance religieuse en dehors de chez soi, ce qui revient à discriminer tous ceux qui croient en quelque chose, à commencer par ces mêmes communautés. [1]
Pour mieux appréhender ce paradoxe, prenons l'exemple des jours fériés : si l'on ne tolère pas, au nom de la laïcité, qu'un élève musulman manque l'école pour l'Aïd ou qu'un élève juif manque l'école pour Rosh Hashana, comment expliquer que le lundi de Pâques, le jeudi de l'Ascension ou le jour de Noël demeurent fériés ? Mis à part en rappelant que la France est une nation traditionnellement catholique ? On arguera que de nos jours la grande majorité des Français ne prêtent plus aucune attention aux fêtes chrétiennes, et que les jours fériés correspondants, au même titre que les fêtes historiques, ne sont qu'une occasion de prendre des vacances ou de prolonger les week-ends sans avoir besoin de poser trop de jours de congés. Mais ne trouvez-vous pas hypocrite d'invoquer la laïcité pour éliminer de la sphère publique l'essentiel des éléments religieux visibles, alors que l'on conserve par ailleurs des dispositions provenant de l'héritage chrétien (millénaire) de la France ?
Ne croyez pas que je plaide pour une application stricte de la laïcité, bien au contraire ! Je suis POUR la liberté de religion, et CONTRE les laïcards et leur application obtuse du principe de laïcité. Je suis convaincue que cette dernière devrait concourir à protéger l'ensemble des croyants des dérives qui pourraient survenir CONTRE eux mais également ENTRE eux et PROVENANT d'eux. Et qu'elle ne devrait pas être utilisée à tort et à travers pour imposer et justifier un abandon de la spiritualité au sein de la société. Je ne crois pas non plus que reconnaître que la France a des origines chrétiennes, et majoritairement catholiques, serait incompatible avec la séparation "des Eglises et de l'Etat" telle que décrétée dans la loi de 1905*. Certains Etats (le Canada, l'Allemagne, la Suisse, la Belgique...) nous montrent qu'il est possible de faire cohabiter différents cultes et éventuellement d'avoir une ou plusieurs religions officielles sans pour autant déclencher une guerre civile entre croyants de différentes confessions. Je reste convaincue qu'un croyant qui se sent libre d'exprimer (et de vivre) sa foi dans son pays d'origine ou d'adoption aura moins tendance à adhérer à des dérives sectaires ou terroristes. A condition bien sûr que chacun des camps joue le jeu et que personne ne cherche à imposer au voisin sa propre vision des choses.
D'après E. Wilkins : "Si les événements de 2015 ont prouvé quoi que ce soit, c’est que la laïcité n’est pas “une garantie” contre les menaces, n’en déplaise à François Hollande. Tolérer et non réprimer la différence est la seule stratégie réellement compatible avec une société plurielle. A mesure que les sociétés occidentales gagnent en diversité, elles doivent aussi devenir plus tolérantes vis à vis des convictions et des perspectives d’autrui, au lieu de s’en méfier. En France, il faudrait abroger les lois interdisant les signes religieux dans l’espace public, enseigner aux enfants les religions du monde au lieu de censurer ce débat et orienter le dialogue public sur la religion afin de privilégier la liberté et non le silence." [1] Je la rejoins totalement à ce sujet. Et je crains par conséquent que l'approche trop dogmatique et pas assez pragmatique du gouvernement français ne soit une grossière erreur et ne réponde plus à des ambitions électorales à court-terme qu'à une réelle volonté de cohésion sociale à long-terme.
Une remarque pour conclure : s'arc-bouter sur ses principes au détriment de la réalité sociale, n'était-ce pas justement cela que certains Républicains ont reproché à l'Eglise Catholique tout au long du XXe siècle ?
*Les "principes" énoncés aux articles 1 et 2 de la Loi de Séparation des Eglises et de l'Etat sont les suivants : liberté de conscience, libre exercice des cultes et séparation des cultes et de la République. En découle les principes de non-ingérence et de séparation entre Etat et institutions religieuses : en clair, cela signifie que les institutions religieuses n'ont aucune influence sur l’État et l’État n'a aucune influence sur les Églises ou leurs croyants (sauf en tant que citoyen). Aussi la séparation entre Eglises et Etat est-elle réciproque, ce que certains apparemment tendent à oublier.
Source
[1] Courrier International, N°1316, 21-27/01/2016, page 24.
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