En avril dernier, j'ai vécu deux semaines
de retraite de pleine conscience dans un monastère bouddhique en Dordogne. Je
m'étais promis de partager cette expérience avec vous, mais le temps a passé et
je me suis concentrée d'autres sujets. Pourtant, une retraite au Village des
Pruniers (c'est le nom du monastère), est une expérience humaine et spirituelle
si riche qu'il serait dommage de la passer sous silence.
Commençons par mes motivations, car en
dehors des collègues asiatiques qui pour certains partent régulièrement en
retraite de méditation, mon projet en a surpris plus d'un. Je voulais tout
simplement apprendre à méditer en pleine conscience et la perspective de me
couper quasi intégralement du monde pendant 15 jours me plaisait tout autant.
J'avais tout d'abord regardé en direction des monastères catholiques mais la
plupart des retraites étaient des weekends à thème et rien ne m'avait vraiment
convaincue.
La vie au Village des Pruniers est une vie
lente mais rythmée par une certaine discipline : lever à 5h, méditation jusque
7h, exercice doux jusque 7h45 puis petit-déjeuner ; "délices du
ménage", activités communautaires (entretien, jardinage...) et marche
méditative avant le déjeuner ; activités spirituelles (enseignements, partage
du Dharma...) l'après-midi ; dîner à 18h et en attendant le début du
"Noble Silence" à 21h, méditations ou temps libre. Le repas est
généralement pris en silence et la nourriture est avalée en pleine conscience,
c’est-à-dire avec une prise de conscience permanente des forces qui ont concouru
à produire et transformer cette nourriture, puis à nous permettre d’en goûter
la saveur et la texture et enfin de l’ingérer et de la digérer. D’ailleurs,
chacune de nos actions, même la plus simple (marcher) ou la plus basique (aller
aux toilettes) devait être réalisée en pleine conscience, éventuellement à
l’aide de petites chansonnettes censées nous aider à nous concentrer sur
l’instant présent.
La première semaine, j'ai rencontré
beaucoup de personnes en crise : déchirure amoureuse, divorce, deuil difficile
à surmonter, chômage, ... Elles venaient là pour se recentrer et reprendre
confiance autant en la vie qu’en elles-mêmes ; les partages du Dharma étaient
relativement lourds émotionnellement parlant et je me suis maintes fois
retrouvée dans un rôle « d’assistante sociale » ou de psychologue. La
deuxième semaine fut très différente : j'ai tissé des liens avec ceux
qui comme moi étaient arrivés la semaine précédente et ils étaient en général
rompus à la méditation et habitués aux retraites (comme Vipasana).
Je garde un bon souvenir de cette
expérience mais je reconnais volontiers mes limites: si j'ai apprécié le
silence et la lenteur avec laquelle nous évoluions au monastère, j’avais
hâte de revenir à une vie plus mouvementée, plus excitante ; le climat de
bienveillance était très agréable, mais accompagné d’une torpeur qui
s’accordait mal avec ma nature passionnée. J’ai détesté la marche méditative,
dont je ne voyais absolument pas l’intérêt et qui survenait à un moment de la
journée où la faim commençait à me tenailler, jusqu’au jour où je me suis
sentie bercée et étonnamment sereine lors de la marche ; à partir de ce
jour, je l’ai attendue chaque midi avec joie.
Un autre exemple : la prière face à
Bouddha, agenouillée et le front au sol (les « touchers de la
Terre ») me mettait mal à l’aise au début, car je ne pouvais concevoir de
m’incliner devant quelqu’un d’autre que Dieu en personne. Pourtant, une fois
que j’ai compris que je pouvais sans gêne adresser ma prière à qui je voulais
lors des cérémonies (et en particulier que cela ne dérangeait personne), je me
suis pliée à ce rituel avec bonne volonté. Cette pratique est même une chose que
j’ai gardée de mon séjour là-bas : je ressens une émotion particulière
lorsque j’ai le front à terre et ce geste peut être adapté à toutes les
prières, tous les fidèles, toutes les confessions.
J’ai apprécié le repas pris en silence,
par contre j’ai détesté manger systématiquement froid, en particulier les jours
de cérémonie où il fallait faire la queue longuement pour se servir avant de se
rendre en procession dans la salle de cérémonie et attendre que les quelques
cinq cents moines et invités soient installés et aient prié avant de commencer.
Si chez moi je mange froid la plupart la plupart du temps, c’est volontairement
(voire par fainéantise) et le menu est adapté à cette habitude ; je ne
mange pas le riz et la poêlée de légumes à demi-tièdes. Si l’idée est de nous
amener à prendre du recul vis-à-vis de la nourriture, je préfère autant jeûner !
Ma première action en quittant le monastère fut de commander un kebab et une
bière ; malgré mon goût plus que modéré pour la viande, j’avais trop
souffert du régime végétalien pour en garder l’habitude. En revanche, je n’ai
pas remis de suite la musique, car j’avais pris goût au silence.
À la fin de l’été, l’émission
"Sagesses Bouddhistes" donnait la parole à Sœur Prune ainsi qu’à un
frère dont le visage m'était familier, tous deux du Village des Pruniers. L'objectif
de l'émission était double : elle visait tout d’abord à présenter le mouvement
Wake Up, qui a pour vocation d'encourager la pratique de la méditation au
quotidien, en particulier chez les jeunes. [1], [2] L’émission revenait
également sur les cinq entraînements à la pleine conscience formulés par le
maître spirituel vietnamien Thich Nhat Hanh (également nommé Taï): le respect
de la vie, le bonheur véritable, l'amour véritable, la parole aimante alliée à
l'écoute profonde, et enfin la consommation responsable.
Les cinq entraînements énoncés par Taï
sont bien plus complexes qu'il n'y paraît et, si certains ont choisi de
s’engager à les respecter sans restriction (les « recevoir »),
d’autres les considèrent tout simplement comme des bases de réflexion pour
mener une vie plus saine et harmoniser les relations humaines. Ces préceptes,
bien plus larges que la simple pratique religieuse, font partie de ce que l’on
appelle le bouddhisme social, un bouddhisme engagé dans les grandes problématiques du monde actuel (l’environnement, la paix, l’économie…) et non plus uniquement centré sur la pratique religieuse. « Dans Small is Beautiful, l’économiste E. F. Schumacher soutient que, contrairement à l’économie de marché, l’économie selon Bouddha n’est pas fondée sur l’accumulation de biens matériels mais sur la purification de la personne humaine. Une recherche qui passe notamment par le travail, un travail digne et qui fait sens localement. » [3]
Sources
[3] Booksletter - 28/09/16
Il existe des retraites catholiques de plus d'un week-end. Notamment les retraites de Saint Ignace, silencieuses et coupées du monde. Sur une semaine. Agnès
RépondreSupprimerMerci beaucoup Agnès pour cette info, j'ignorais totalement l'existence de ce genre de retraite ! Je crois que l'an prochain je m'arrangerai pour y aller, spirituellement parlant c'est tellement enrichissant.
SupprimerBonne journée à toi.