samedi 22 octobre 2016

Expérience insolite au Village des Pruniers

En avril dernier, j'ai vécu deux semaines de retraite de pleine conscience dans un monastère bouddhique en Dordogne. Je m'étais promis de partager cette expérience avec vous, mais le temps a passé et je me suis concentrée d'autres sujets. Pourtant, une retraite au Village des Pruniers (c'est le nom du monastère), est une expérience humaine et spirituelle si riche qu'il serait dommage de la passer sous silence.

Commençons par mes motivations, car en dehors des collègues asiatiques qui pour certains partent régulièrement en retraite de méditation, mon projet en a surpris plus d'un. Je voulais tout simplement apprendre à méditer en pleine conscience et la perspective de me couper quasi intégralement du monde pendant 15 jours me plaisait tout autant. J'avais tout d'abord regardé en direction des monastères catholiques mais la plupart des retraites étaient des weekends à thème et rien ne m'avait vraiment convaincue.

La vie au Village des Pruniers est une vie lente mais rythmée par une certaine discipline : lever à 5h, méditation jusque 7h, exercice doux jusque 7h45 puis petit-déjeuner ; "délices du ménage", activités communautaires (entretien, jardinage...) et marche méditative avant le déjeuner ; activités spirituelles (enseignements, partage du Dharma...) l'après-midi ; dîner à 18h et en attendant le début du "Noble Silence" à 21h, méditations ou temps libre. Le repas est généralement pris en silence et la nourriture est avalée en pleine conscience, c’est-à-dire avec une prise de conscience permanente des forces qui ont concouru à produire et transformer cette nourriture, puis à nous permettre d’en goûter la saveur et la texture et enfin de l’ingérer et de la digérer. D’ailleurs, chacune de nos actions, même la plus simple (marcher) ou la plus basique (aller aux toilettes) devait être réalisée en pleine conscience, éventuellement à l’aide de petites chansonnettes censées nous aider à nous concentrer sur l’instant présent.

La première semaine, j'ai rencontré beaucoup de personnes en crise : déchirure amoureuse, divorce, deuil difficile à surmonter, chômage, ... Elles venaient là pour se recentrer et reprendre confiance autant en la vie qu’en elles-mêmes ; les partages du Dharma étaient relativement lourds émotionnellement parlant et je me suis maintes fois retrouvée dans un rôle « d’assistante sociale » ou de psychologue. La deuxième semaine fut très différente : j'ai tissé des liens avec ceux qui comme moi étaient arrivés la semaine précédente et ils étaient en général rompus à la méditation et habitués aux retraites (comme Vipasana).

Je garde un bon souvenir de cette expérience mais je reconnais volontiers mes limites: si j'ai apprécié le silence et la lenteur avec laquelle nous évoluions au monastère, j’avais hâte de revenir à une vie plus mouvementée, plus excitante ; le climat de bienveillance était très agréable, mais accompagné d’une torpeur qui s’accordait mal avec ma nature passionnée. J’ai détesté la marche méditative, dont je ne voyais absolument pas l’intérêt et qui survenait à un moment de la journée où la faim commençait à me tenailler, jusqu’au jour où je me suis sentie bercée et étonnamment sereine lors de la marche ; à partir de ce jour, je l’ai attendue chaque midi avec joie.

Un autre exemple : la prière face à Bouddha, agenouillée et le front au sol (les « touchers de la Terre ») me mettait mal à l’aise au début, car je ne pouvais concevoir de m’incliner devant quelqu’un d’autre que Dieu en personne. Pourtant, une fois que j’ai compris que je pouvais sans gêne adresser ma prière à qui je voulais lors des cérémonies (et en particulier que cela ne dérangeait personne), je me suis pliée à ce rituel avec bonne volonté. Cette pratique est même une chose que j’ai gardée de mon séjour là-bas : je ressens une émotion particulière lorsque j’ai le front à terre et ce geste peut être adapté à toutes les prières, tous les fidèles, toutes les confessions.

J’ai apprécié le repas pris en silence, par contre j’ai détesté manger systématiquement froid, en particulier les jours de cérémonie où il fallait faire la queue longuement pour se servir avant de se rendre en procession dans la salle de cérémonie et attendre que les quelques cinq cents moines et invités soient installés et aient prié avant de commencer. Si chez moi je mange froid la plupart la plupart du temps, c’est volontairement (voire par fainéantise) et le menu est adapté à cette habitude ; je ne mange pas le riz et la poêlée de légumes à demi-tièdes. Si l’idée est de nous amener à prendre du recul vis-à-vis de la nourriture, je préfère autant jeûner ! Ma première action en quittant le monastère fut de commander un kebab et une bière ; malgré mon goût plus que modéré pour la viande, j’avais trop souffert du régime végétalien pour en garder l’habitude. En revanche, je n’ai pas remis de suite la musique, car j’avais pris goût au silence.

À la fin de l’été, l’émission "Sagesses Bouddhistes" donnait la parole à Sœur Prune ainsi qu’à un frère dont le visage m'était familier, tous deux du Village des Pruniers. L'objectif de l'émission était double : elle visait tout d’abord à présenter le mouvement Wake Up, qui a pour vocation d'encourager la pratique de la méditation au quotidien, en particulier chez les jeunes. [1], [2] L’émission revenait également sur les cinq entraînements à la pleine conscience formulés par le maître spirituel vietnamien Thich Nhat Hanh (également nommé Taï): le respect de la vie, le bonheur véritable, l'amour véritable, la parole aimante alliée à l'écoute profonde, et enfin la consommation responsable.

Les cinq entraînements énoncés par Taï sont bien plus complexes qu'il n'y paraît et, si certains ont choisi de s’engager à les respecter sans restriction (les « recevoir »), d’autres les considèrent tout simplement comme des bases de réflexion pour mener une vie plus saine et harmoniser les relations humaines. Ces préceptes, bien plus larges que la simple pratique religieuse, font partie de ce que l’on appelle le bouddhisme social, un bouddhisme engagé dans les grandes problématiques du monde actuel (l’environnement, la paix, l’économie…) et non plus uniquement centré sur la pratique religieuse. « Dans Small is Beautiful, l’économiste E. F. Schumacher soutient que, contrairement à l’économie de marché, l’économie selon Bouddha n’est pas fondée sur l’accumulation de biens matériels mais sur la purification de la personne humaine. Une recherche qui passe notamment par le travail, un travail digne et qui fait sens localement. » [3]

Sources
[3] Booksletter - 28/09/16

2 commentaires:

  1. Il existe des retraites catholiques de plus d'un week-end. Notamment les retraites de Saint Ignace, silencieuses et coupées du monde. Sur une semaine. Agnès

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    1. Merci beaucoup Agnès pour cette info, j'ignorais totalement l'existence de ce genre de retraite ! Je crois que l'an prochain je m'arrangerai pour y aller, spirituellement parlant c'est tellement enrichissant.
      Bonne journée à toi.

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