mardi 31 mai 2016

Les nuits poétiques de Youness // Yunus' Poetry Nights : Marsil Khalîfâ

Ce soir, j'ai envie de partager avec vous une chanson particulièrement émouvante du chanteur, compositeur et joueur d'oud, Marcel Khâlifé (مرسيل خليفة‎) intitulée "un oiseau" (عصفور). La traduction française est de moi (aussi n'est-elle pas exempte d'erreurs), car ce texte a servi de base récemment à un cours d'arabe. Je remercie d'ailleurs ma professeure de m'avoir fait découvrir Marcel Khâlifé ainsi que nombre d'autres figures importantes, passées ou présentes, du monde arabe. Je vous en présenterai de temps en temps, car nous manquons généralement de connaissances à leur sujet en Occident.
This evening I feel sharing with you a song written by the singer, composer and oud player Marsil Khalîfâ (مرسيل خليفة‎), named "A bird" (عصفور). I found the translation into English on a lyrics website; you can access it from hereI recently studied this song in Arabic class and I'm very grateful to my Arabic teacher to have enabled me discovering Marsil Khalîfâ as well as many great characters from the Arab world. On this blog, I'll introduce you to some of them, because I really think we're lacking of general knowledge about Arabian culture in our western countries. And when you go deep into this culture, you find out it's so rich that it's a shame not to share it.

Marcel Khâlifé est né en 1950 à Amchit, petit village de pêcheurs du Sud-Liban. Issu d'une famille de chrétiens maronites, il grandit au sein d'une ambiance à la fois chrétienne et musulmane. Son grand-père, pêcheur, était aussi joueur de flûte. Marcel étudie l'oud puis l'enseigne de 1970 à 1975 au Conservatoire de Beyrouth. Le succès débute en 1976 lorsqu'il crée l'ensemble Al Mayadeen avec lequel il deviendra internationalement connu ; l'une de ses chansons les plus célèbres est Oummi (أمّي), "ma mère", empreinte de tendresse et de nostalgie. Depuis ses débuts, Marcel Khalifé n'a cessé de chanter pour la paix et en faveur de la tolérance, et il est rapidement apparu comme un porte-parole pour la cause palestinienne. Dans ses chansons, il s'inspire ou reprend des poèmes de Mahmoud Darwich, et cela lui a parfois valu de sérieux problèmes (voir l'affaire anâ Youssef, ya abî). En 2005, il est nommé Artiste de l'UNESCO pour la Paix. [1] Ses deux fils Rami et Bachar sont à leur tour devenus musiciens. Si vous voulez en savez plus sur sa vie, sa discographie, ses textes etc., vous pouvez visiter le site web suivant qui lui est consacré : [2].
Marsil Khalîfâ is born in 1950 in Amchit, a small fisherman village in South-Lebanon. His family members are Maronites Christians so from his childhood, Marsil grows up in an atmosphere both Christian and Muslim. His grand-father was a fisherman but also a flute player. Marsil learns to play oud and is very talented, so he ends up eventually teaching oud from 1970 to 1975 at Beirut Conservatory. Success arises in 1976 when he creates Al Mayadeen ensemble with which he'll become famous worldwide; one of his greatest songs is Ummi (أمّي), "my mother", filled with tenderness and nostalgia. From the beginning, Marsil endeavored to sing for peace and tolerance, and rapidly he became a representative for the Palestinian cause. He sings or finds inspiration in many poems of Mahmoud Darwich and in the past, he got in big troubles for that (see the anâ Yusuf, ya abî story). In 2005 however he got appointed Artist for the Peace by UNESCO. [1] Both his sons, Rami and Bachar, have become musicians. If you want know more about his life, his discography, his lyrics etc., please visit the fan website : [2].

Voici un enregistrement live de "un oiseau", lors d'un concert donné en Syrie. Le chanteur précise en introduction que cette chanson est dédiée à tous ceux qui sont retenus prisonniers dans les geôles israéliennes, mais également à tous ceux qui sont prisonniers des geôles arabes.
Here is a live recording of "A Bird", from a concert in Syria in the 2000's. As an introduction the singer tells the public that this song is dedicated to all prisoners in Israeli jails, but also all prisoners in Arab jails.

Un live de "Un oiseau" de Marcel Khalifé // A live recording of "A Bird" by Marsil Khalîfâ

Voici la traduction française :

Un oiseau posé sur la fenêtre m'a dit: "Nunu,
Cache-moi auprès de toi, cache-moi je t'en prie, Nunu".

Je lui ai dit : "d'où es-tu ?", il m'a dit "des confins du ciel"
Je lui ai dit : "d'où arrives-tu ?", il m'a dit "du pays d'à-côté"
Je lui ai dit : "de quoi as-tu peur ?", il m'a dit "de la cage que j'ai fuie"
Je lui ai dit : "où sont tes plumes ?", il m'a dit "le temps les a emportées"

Un oiseau posé sur la fenêtre m'a dit: "Nunu,
Cache-moi auprès de toi, cache-moi je t'en prie, Nunu".

Une larme a coulé sur sa joue, et ses ailes se sont repliées,
Il s'est posé sur le sol et a dit : "j'aimerais marcher mais je n'y arrive pas".
Une larme a coulé sur sa joue, et ses ailes se sont repliées,
Il s'est posé sur le sol et a dit : "j'aimerais marcher mais je n'y arrive pas".

Je l'ai serré contre mon cœur et ses blessures m'ont fait souffrir.
Avant d'avoir fait éclater sa prison, il a cassé sa voix et brisé ses ailes.
Je lui ai dit : "de quoi as-tu peur ?", il m'a dit "de la cage que j'ai fuie"
Je lui ai dit : "où sont tes plumes ?", il m'a dit "le temps les a emportées"

Un oiseau posé sur la fenêtre m'a dit: "Nunu,
Cache-moi auprès de toi, cache-moi je t'en prie, Nunu".

Je lui ai dit : "N'aies pas peur, regarde, le soleil apparaît"
Il a regardé la forêt et a vu les vagues de la liberté étinceler.
Il a vu les ailes des oiseaux frétiller derrière les portes hautes.
Il a vu la forêt planer sur les ailes de la liberté.

Je lui ai dit : "d'où es-tu ?", il m'a dit "des confins du ciel"
Je lui ai dit : "d'où arrives-tu ?", il m'a dit "du pays d'à-côté"
Je lui ai dit : "de quoi as-tu peur ?", il m'a dit "de la cage que j'ai fuie"
Je lui ai dit : "où sont tes plumes ?", il m'a dit "le temps les a emportées"

Un oiseau posé sur la fenêtre m'a dit: "Nunu,
Cache-moi auprès de toi, cache-moi je t'en prie, Nunu".

* litt. de la maison des voisins
** les hauts murs qui marquent les frontières

Sources

Antonio Garrido : Le lecteur de cadavres // The Corpse Reader

J'aimerais aujourd'hui vous faire découvrir un roman que j'ai lu l'an dernier et qui à l'époque, m'a beaucoup enthousiasmée. Il s'agit du Lecteur de cadavres de l'écrivain espagnol Antonio Garrido.
Today, I'd like to talk about a novel I read last year and which left a great mark on me: The Corpse Reader by the spanish novelist Antonio Garrido.

Antonio Garrido est né à Linares (Espagne) en 1963. Après des études d'ingénieur industriel à l'Université Polytechnique de Las Palmas, il devient professeur à l'Université Cardinal Herrera de Valence puis à l'Université Polytechnique de Valence. Son premier roman, La Scribe (La Escriba), publié en 2008, devient rapidement un best-seller qui sera traduit en pas moins de douze langues ; il s'agit d'un roman policier historique, dont l'action se déroule au sein d'une abbaye de Franconie, l'année précédant le sacre de Charlemagne. [1] Pour ce roman, Antonio Garrido s'est vu décerner le Prix des Lecteurs Sélection 2010.
Antonio Garrido is born in 1963 in Linares (Spain). After graduating as industrial engineer from the Polytechnic University of Las Palmas, he became a teacher at the Cardinal Herrera University in Valence, then at the Polytechnic University of Valence. His first novel, The Scrib (La Escriba), published in 2008, became rapidly a best-seller and has been translated since then in more than twelve languages ; The Scrib is a historical crime novel that takes place in an abbey in Franconia in year 799, just before the crowning of Charlemagne as King of the Franks. [1] Antonio Garrido received Reader's Award Selection 2010 for The Scrib.

Le Lecteur de cadavres (El Lector de Cadáveres), paru en 2011, est également un roman policier historique qui se déroule dans l'Empire de Chine au XIIIe siècle et s'inspire d'un personnage réel. L'auteur raconte comment Ci Song, un jeune homme modeste, fuit son village après avoir perdu toute sa famille, et cherche à survivre dans les banlieues de Lin'An, la capitale de l'Empire. En dépit d'une solide éducation, il peine à gagner sa vie et devient fossoyeur, l'un des métiers les moins respectables qui soient. Au contact des morts, il approfondit ses compétences médicales et développe l'incroyable capacité de "prédire" les causes de la mort. Remarqué par un proche de l'Empereur, il se voit chargé d'enquêter sur une série d'assassinats perpétrés dans l'Enceinte du palais, le Saint des Saints, et jusque alors demeurés mystérieux. Les obstacles en travers de sa route sont nombreux ; car si le jeune homme sait qu'en cas de succès sa fortune sera faite, il n'ignore pas en revanche que la moindre erreur de diagnostic sera punie de mort.
The Corpse Reader (El Lector de Cadáveres) is a second historical crime novel that takes place in the Chinese Empire during the thirteenth century. The author, who draws his inspiration from a real character, relates how Ci Song, a poor young man, escapes from his home village after all his family was killed, and moves to Lin'An, the Empire capital city. In spite of a solid education, he struggles earning a living and eventually becomes a grave digger, which is at that time one of the least respected profession. By handling corpses, he broadens his medical knowledges and soon develops the surprising capability to predict the causes of death. Spotted by a member of the Emperor's family, he's put in charge of investigating a series of murders which occurred insite the palace and remained unresolved. Ci Song will encounter many obstacles in his quest ; he also knows that if he succeeds he'll be awarded beyond his greatest expectations, but that if he fails, he'll be sentenced to Death.

Ce superbe récit raconte comment Ci Song a devenu le premier médecin légiste de toute l'Histoire. Pour en savoir plus : [2]. Notez que le tout nouveau roman d'Antonio Garrido, Le Dernier Paradis, (El Último Paraíso, 2015) vient d'être publié en version française. Une fois que je l'aurai lu, je vous en reparlerai.
So this excellent novel relates how Ci Song managed to become the first forensic ever. To learn more about the story, check out this source: [3]. By the way, last year a new novel by Antonio Garrido has been published: El Último Paraíso (The Last Paradise). The translation in French has just been released, but I haven't found yet any information about the English one. I'll come back on this subject when I'll have read it.

Sources

lundi 30 mai 2016

Bonne nuit cher voisin ! (French-speaking article only)

Aujourd'hui, je ne résiste pas à l'envie de partager une anecdote croustillante imaginée par Alphonse Allais, journaliste, écrivain et humoriste de la fin du XIXe siècle, dans Le Bec en l'Air. Cette histoire, qui s'intitule Une Mauvaise Nuit, raconte la farce faite par un homme qui se décrit comme "respectable" à son voisin de palier, propriétaire d'une garçonnière dans l'immeuble, et qui rentre une nouvelle fois en compagnie légère. Etant régulièrement témoin auditif de ses débauches, le narrateur décide de leur jouer un tour à sa façon. Je vous laisse découvrir ce texte plein d'humour : http://www.books.fr/bonne-nuit-cher-voisin/, qui est paru dans la Booksletter du 27 mai 2016.

dimanche 29 mai 2016

Un pain turc // A turkish bread

Bonjour à tous !
C'est bien la première fois que je parle cuisine sur ce blog mais j'ai testé cet après-midi une recette de pain turc trouvée par hasard sur le Net, et vraiment impeccable ! Le résultat m'a tellement plu que j'ai décidé de partager le lien vers la recette ainsi que les photos: http://allrecipes.fr/recette/9715/bazlama---pain-turc.aspx?o_is=LV

Hi everyone !
For the first time, I'll write an article about food but this afternoon I found a turkish bread recipe, tried it and it's really great. So I decided to share with you the recipe and my pictures of the bread.

Recipe
Ingredients: 500g flour, 100g greek yoghourt, 35cl hot water (not boiling water), 1 spoon of salt, 1 spoon of sugar, 8g of baker's yeast

Start by diluting sugar in yeast into water: it will enables yeast activation. Then add water then yoghourt into the flour + salt, mix and make a balloon shape. Let it rise 3hrs at ambient temperature in a bowl covered by a wet dish towel.
Divide the dough in 4 pieces and roll each one out like a pizza base (spherical and flat). Cover again with a wet towel.
Put each piece of dough on a frying pan (with no fat), with medium/hot burner. Heat it approx. one minute each side, until brown stains appear. Remove from heat and wrap in a dish towel to keep it warm.
Keep the bread in a tupperware.

La pâte après avoir levé // The dough after having risen
Le plus petit pain // The smallest bread
La texture intérieure du pain // Internal texture of the bread



vendredi 27 mai 2016

Comment j'ai arrêté de mettre la pression à ma fille (french-speaking article only)

Bonjour à tous ! L'article que je mets en lumière aujourd'hui provient du Huffington Post, une source que, je dois l'avouer, je consulte assez peu souvent. Il s'agit de la reproduction d'un article paru hier sur le blog de Catherine Malaussena et judicieusement intitulé "Comment j'ai arrêté de mettre la pression à ma fille". Catherine Malaussena a travaillé pendant 25 ans dans l'Education Nationale, en tant qu'enseignante puis directrice d'école, avant de démissionner pour se lancer en psychopédagogie positive, en particulier dans l'accompagnement de l'apprentissage des enfants, adolescents et adultes. Sur son blog La Boîte à l'Être, elle donne ainsi de nombreux conseils et propose des ateliers collectifs ainsi qu'un accompagnement personnalisé ; le blog aborde également la question de la douance.

Quid de "Comment j'ai arrêté de mettre la pression à ma fille" ? En toute franchise, je m'attendais au départ à une sorte d'éloge de l'autogestion des enfants ou de l'éducation non-autoritaire, et j'étais curieuse de connaître les arguments de l'auteure. J'ai découvert avec stupéfaction que l'auteur met en réalité l'accent sur la pression inconsciente mais castratrice imposée par les parents, par l'école, par la société lorsque l'enfant commence son apprentissage scolaire, celui qui va déterminer toute la réussite de sa vie à venir. Il entre alors dans une période où il n'est plus aimé inconditionnellement, mais doit commencer à répondre à des exigences pas toujours verbalisées : avoir de bonnes notes, réussir avec brio tout ce qu'il entreprend, faire plaisir à Papa-Maman, s'intégrer dans sa classe, en un mot devenir celui que l'on souhaite qu'il devienne. Il y a une certaine logique là-derrière : il est difficile d'élever un enfant sans l'inciter à suivre un chemin, quel qu'il soit, et les parents souhaitent généralement le meilleur pour leurs enfants ! Cela ne serait pas dérangeant si dans certains cas ça n'allait pas totalement à l'encontre des émotions de l'enfant, en particulier de celui qui possède dès le début un terreau artistique fertile.

L'enfant qui entre à l'école primaire grandit dans la peur d'être différent et l'obligation sous-jacente de se fondre dans la masse, de faire au moins aussi bien, voire mieux que les autres. Il s'efforce de se conformer au rêve d'une société dans laquelle chaque personne a un rôle et des attributions bien définies et où il n'y a pas vraiment de place pour les originaux ou les rêveurs. Pire encore, au rêve d'une société dans laquelle l'échelle des valeurs est calquée sur des considérations matérialistes (par ex. l'argent comme moyen de se réaliser), qui ne correspondent pas forcément aux aspirations de l'enfant quand il grandit. Prenons un simple exemple : qui regarde-t-on en général avec le plus d'admiration ? L'artiste en devenir qui démarre son activité mais peine à boucler ses fins de mois, ou le salarié anonyme d'une grosse entreprise qui emmène ses gamins sur la côte à bord de son monospace ? N'avons-nous pas tendance à considérer que le premier se complique la vie en vain, tandis que le second "a tout compris" ? Certains diront "La vie est courte, donc autant prendre l'argent là où il est et consommer pour se sentir bien", d'autres diront "Justement, la vie est courte, trop courte pour s'enchaîner à une carrière peu épanouissante dans le seul but de gagner sa vie." Éternel combat entre les pragmatiques (mais le sont-ils vraiment ?) et les utopistes (même question).

Ceux qui me suivent depuis le début du blog connaissent déjà ma position à ce sujet ; les autres comprendront vite que je parle d'expérience, ayant derrière moi de brillantes études supérieures, plusieurs diplômes scientifiques et la maîtrise de plusieurs langues, pour finalement atterrir dans un métier de simple exécutant où je constate la décroissance, année après année, de mes facultés intellectuelles*. J'ai le sentiment que parmi les salariés des grosses entreprises, il y a une majorité de personnes qui n'ont d'autre ambition que se conformer au rêve de la société et tirent donc satisfaction de la (quasi) sécurité de l'emploi et des avantages du Comité d'Entreprise (tant mieux pour eux). Et il y a les autres, les rêveurs, les artistes, les créatifs, qui étouffent dans l'étroitesse intellectuelle qui leur est imposée et ne tirent aucune fierté de leur soi-disant position privilégiée. Ils finissent tôt ou tard soit par laisser dépérir leur potentiel, soit par s'envoler vers d'autres cieux. A moins que, par chance, ils ne trouvent un domaine de recherche ou une niche quelconque susceptible de valoriser leur énergie créatrice ; dans ce cas ils peuvent réellement faire avancer les choses, s'épanouir tout en se rendant utile pour leur environnement. Néanmoins, l'échelle des valeurs étant ce qu'elle est dans notre société, il ne faut pas s'attendre à ce que le talent ou l'intellect soient récompensés, ou du moins pas de manière "ostensible" ; aussi le créatif doit-il se préparer à prêcher des années durant que sa vie présente une grande richesse à condition de regarder au-delà des apparences.

Avant de clore cet article, voici, pour les oisillons curieux et les pies bavardes, un blog traitant de la question de la douance et des (nombreuses) difficultés qui en résultent : Aux Zèbres Heureux. Je l'ai parcouru dernièrement et j'ai été impressionnée par la diversité des témoignages et les conseils prodigués. Ce blog met l'accent sur le fait qu'il est possible d'accepter sa douance et de la vivre sereinement sur le long terme (cela dit, le chemin pour y parvenir peut être long pour certains). Un cocktail bien agréable pour tous ceux qui, diagnostiqués surdoués ou non, cherchent des pistes, des explications ou tout simplement un peu de réconfort.

*Mais n'allez pas imaginer que je reste à me lamenter les bras croisés, la tourterelle est pleine de ressources et d'ambition !

mercredi 18 mai 2016

Les nuits poétiques de Youness // Yunus' Poetry Nights : Al Majnoun

Ce titre est pour le moment un peu énigmatique mais c'est consciemment que je laisse un voile d'obscurité dessus. Seuls ceux qui sont au courant de mon projet d'écriture sont à même de comprendre de qui je parle. Quoi qu'il en soit, nul besoin de savoir qui est ce jeune homme et pourquoi il aime tant la poésie pour apprécier les auteurs qu'il a choisi de partager avec sa bien-aimée.

I recognize this title isn't the most explicit but I've deliberately decided to let you in the dark. Only the people who are aware of my writing project may understand who I am talking about. Anyway, you don't need to know who that young man is and why he's so fond of poetry to appreciate the poems he decided to share with his only love.

Youness m'a suggéré ce matin de vous réciter Al Majnoun, alors voilà. Majnoun et Leila font partie des couples légendaires de la culture arabe, au même titre que Antara et Abla, Qays et Lubna, Kuthair et Azza, et bien d'autres encore. Mais si le poète a réellement existé (il s'agissait de Qays ibn al-Moullawwah), la véracité de cette histoire d'amour est controversée. [1] Le terme Majnoun en arabe (مجنون) se traduit par fou et Majnoun Leila (مجنون ليلى) signifie celui qui est fou (amoureux) de Leila.

Yunus suggested this morning that I should introduce you to Al Majnun, so here I am. Majnun and Leila are one of the most famous lovers couple in the Arab culture, amongst others one will find Antara and Abla, Qays and Lubna or Kuthair and Azza. But if there are proofs of the poet's existence (his real name was Qays ibn al-Moullawwah), there is a controversy about the truth of the love story. [1] Majnun (مجنون) means in arabic "mad", so Majnun Leila (مجنون ليلى) is "the one who madly in love with Leila".

D'après la légende, le poète Qays, issu d'une famille de bédouins, était tombé fou amoureux de sa cousine Leila et passait son temps à chanter ses louanges et à lui dédier des poèmes. Or, dans la culture bédouine, c'est au père qu'il revient de choisir un époux ou une épouse pour son enfant ; aussi l'attitude de Qays fut-elle perçue comme un manque de respect envers l'autorité et ses demandes répétées pour épouser sa bien-aimée furent rejetées. La famille de la jeune femme sollicita même du Calife l'autorisation de tuer le jeune arrogant. Le Calife, intrigué par les vers de Qays, demanda à rencontrer Leila afin de constater de ses yeux cette beauté dont le poète faisait tant l'éloge ; mais il ne vit qu'une femme un peu maigre au teint brûlé par le soleil. Interrogé par le souverain au sujet de sa bien-aimée, Qays lui répondit que s'il ne la trouvait pas spécialement belle, c'est tout simplement parce qu'il ne la voyait pas avec ses yeux à lui. La famille de Qays finit par demander Leila en mariage mais la famille de la jeune femme refuse. Qays sombre peu à peu dans la folie, et son père l'emmène en pèlerinage à la Mecque dans l'espoir de lui faire oublier cette pénible histoire et recouvrer ses esprits ; en vain car le jeune homme ne cesse de répéter qu'une voix lui murmure constamment le nom de sa bien-aimée à l'oreille. Revenu chez lui, Qays est un jour prévenu que Leila est devant sa porte et demande à lui parler. Il répond qu'elle doit passer son chemin car recevoir quiconque l'empêcherait de continuer à penser à sa bien-aimée. L'histoire s'achève tragiquement: Leila se marie et part vivre dans une autre région. Qays quant à lui s'installe dans le désert avec les animaux sauvages. On le retrouve mort quelques temps après, avec dans les mains un ultime poème à sa bien-aimée.

According to the legend, Qays was a poet who came from a long line of nomads. He was madly in love with his cousin Leila and spent his days praising her through his poetry and expressing his love for her. However in the nomad culture the choice of a mate is the privilege of fathers only, so it wasn't long before Qays attitude was considered as disrespectful for their authority. Leila's family even sent a request to the Caliph to get the permission to kill this arrogant young man. The Caliph, instead of granting it, asked to meet Leila to see the great beauty the poet talked so much about; but when he met her, he didn't understand the reasons for the poets praises. To him, she was just a thin woman with the skin burned by the sun. Qays answered that if the Caliph couldn't see her immense beauty it was because he wasn't looking though Qays eyes. Qays family finally proposed to Leila's family but they refused. Qays then started to fall into madness and his father decided to take him to pilgrimage in Mecca to save his mind and help him forget about her. This initiative turned out to be useless because even in Mecca Qays claimed that a voice in his hears whispered all day long the name of his beloved. Back home, a friend of Qays told him one day that Leila was standing at the front door and asking to see him. But the mad poet answered that he didn't want to see anyone that would distract him from thinking of his beloved Leila. This story didn't end well; Leila got married and moved out of the country, while Qays settled in the desert to live with wild animals. Some time later, his body was found lifeless and in his hands there was a last poem to Leila.

Voici quelques extraits de la poésie de Majnoun, traduit par Houria Abdelouahed. [2]

"Je me plains à un vol d'oiseaux passagers
Mais suis-je digne de pleurer ?
Ô nuée d'oiseaux ! pourriez-vous me prêter des ailes
Afin que vers ma bien-aimée je puisse voler ?"

"Je restais tourmenté le jour de notre séparation
La voyant partir, perplexe, avec des larmes dans les yeux.
Lorsqu'elle se retourna, m'adressant de loin un long regard,
Mes yeux ont libéré leurs eaux jusqu'alors contenues."

"Éloignement, passion, nostalgie et tremblement,
Tu ne réussis pas à diminuer la distance, ni moi à m'approcher.
Comme un oisillon serré dans la main d'un enfant
Qui ressent l'amertume de la mort tandis que l'enfant joue,
Dépourvu de raison l'enfant ne peut s'apitoyer,
Dépourvu de plumes l'oisillon ne peut s'envoler,
J'ai connu les chemins qui mènent vers mille visages,
Toutefois, sans cœur où donc aller ?"

"Ils dirent: "Si tu le veux tu peux loin d'elle retrouver la joie."
Je dis: "Ce n'est guère mon souhait."
Son amour grandit dans mon cœur
En dépit du blâme, il n'accepte de s'achever."

Here are some examples of Majnun's poetry, found on the beautiful blog by Adam Ahmed, which gathers many arabic poems in original writing and translated by himself. [3] I can but recommend all of you to take a look at this blog.

"The souls of infatuates are sick for desire
And the lover's condition doesn’t alter;
The tears of the lover, upon seeing his love,
Rush down his cheek -- one after the other:
Who's kin to love isn’t freed by a glance,
But, every day, he's scolded or seeks more.
Grieved, distracted, starved, & enfeebled,
He can’t navigate a way, or get a lick of slumber."

"She is wine in beauty, like her spit is wine;
Her delicacy, too, is tinged by wine:
Three wines are joined in her, but from one
A drunkard exceeds drunkenness."

"Upon the land, I stare, as if I stood
Behind a glass; looking from Love's Waters,
My eyes occasionally drown from weeping, so I
Go blind; sometimes they bare enough for me to see.
Though no tears pour out from this eye,
It languishes and leaks just the same."


Sources
[2]     Le Dîwân de la poésie arabe classique, Choix et Préface d'Adonis, Traduction de Houria Abdelouahed et Adonis, Ed. Gallimard.

mardi 17 mai 2016

Représentation de Mahomet dans l'Islam // Representation of the prophet Mohammed in Islam

Bonjour à tous ! // Hi everyone !

Après une assez longue période de silence, durant laquelle je me suis concentrée sur ma santé et mon projet d'écriture, me voici de retour sur la toile, avec un article traitant de la représentation du Prophète Mahomet (Mohammed) dans l'Islam, rédigé par Oleg Grabar paru dans le magazine Books en janvier 2013 et avant cela dans The New Republic le 30 octobre 2009. J'ai trouvé cet article un peu par hasard et il m'a frappée, d'une part parce qu'il fait écho à l'actualité, d'autre part parce qu'il tord le cou à un certain nombre de préjugés concernant l'Islam. Voici le lien pour y accéder : http://www.books.fr/les-plus-belles-images-de-mahomet-3/ (Je suis navrée, l'article est uniquement en Français.)
I've been silent a while, to focus on my health and my writing project (a novel), but here I am again with an article on representation of Prophet Mohammed in Islam. The article I'm introducing you to was written by Oleg Grabar and published first in The New Republic on October 30 2009, then reissued in Books Magazine in January 2013. Chance made me discover this article and I was struck by two main aspects: on one hand it echoes current events and on the other hand it debunks some misconceptions about Islam. For those who can read French, you'll find the article here: http://www.books.fr/les-plus-belles-images-de-mahomet-3/ (I'm really sorry for the others)

Cet article nous apprend que le cas précis de la représentation du Prophète n'est pas rigoureusement abordé dans le Coran et que son interdiction, prônée par certains musulmans, découle en réalité de l'exégèse coranique. Dès ses origines, l'Islam s'est heurté à des religions concurrentes relayées par de nombreuses images, statues et représentations : le Christianisme, le Zoroastrisme, l'Hindouisme etc. Aussi les premiers musulmans ont-ils préféré substituer l'écrit au dessin, de peur de sombrer dans l'idolâtrie*. Au bout de quelques siècles, le refus de produire des "icônes" est devenu la norme dans l'ensemble du monde musulman. Comme la charia, adoptée aujourd'hui comme système juridique dans un certain nombre de pays, s'appuie directement sur l'exégèse coranique, on trouve des positions plus ou moins strictes au sujet des images.
I learned in this article that the Coran doesn't explicitly deal with representational art related to the Prophet, and that its prohibition by a part of the Muslim world originates in fact in exegesis. The first Muslims were living amongst Christians, Zoroastrians, Hindus etc. for whom images, icons, statues are part of religion. In reaction to that, and considering the risk to fall into idolatry*, they must have preferred to substitute the writing to the drawing. And after a few centuries, their reluctance to produce images and representations of the Prophet and other religious figures had become the norm in most of the Muslim world. As today, Charia (or Islamic law) is based on coranic exegesis, it's not surprising to find different opinions on that subject, from the most permissible to the most stringent.

Ce qui n'empêche pas l'existence, relatée ou avérée, de multiples représentations du Prophète! Car il serait réducteur de croire que tous les musulmans sans exception adhèrent à la condamnation des images du Prophète. En effet, dès les premiers siècles, les princes et les sujets fortunés se sont mis à embellir leurs demeures avec diverses images décoratives, du portrait du souverain en exercice aux scènes religieuses. Plus tard, avec l'immigration turque puis l'essor de l'art perse, les ouvrages enluminés se sont couverts d'illustrations religieuses ; à l'instar des vies des Saints, on trouvait des Qissas al-Anbiya (Vies des Prophètes) dont les versions turques ou persanes étaient illustrées. Pour finir, à partir du XVe siècle, l'habitude fut prise de voiler la face du Prophète, non à cause d'une interdiction juridique quelconque (aucune trace n'en a été trouvée à ce jour), mais parce qu'il ne s'agissait pas d'un homme ordinaire et que la sainteté de son caractère était mieux rendue par l'invisibilité de son visage.
However, representations of the prophet have existed or do still exist. And it should be reductive to claim that all Muslims, with no exception, condemn it. Already in the first centuries, princes or wealthy subjects ordered images or objects to adorn their palaces, ranging from the portrait of the acting king to religious scenes. Later, Turc immigration and Persian art expansion resulted in books being illuminated with religious images, as for example Qissas al-Anbiya (Lives of Prophets), compilations of the lives of Prophets or Saints. From the 15th century though, people started to cover the face of the prophet with a veil, but it seems to have resulted not from an interdiction but from the idea that Mohammed was no ordinary man and that his Sanctity was better represented (and honored) by an invisible face.

Il en découle que le monde musulman n'est pas opposé à la représentation du Prophète, mais sous certaines conditions et dans un contexte bien précis (un ouvrage louant l'exemple d'une vie de sainteté par exemple). Du reste, dans le passé comme aujourd'hui, ces représentations sont très rares et il n'y a pas là matière à dresser les peuples les uns contre les autres. Je termine en citant la fin de l'article.
"La seule leçon à tirer de cette triste histoire, c’est l’ampleur de l’ignorance et de l’incompétence – et l’idée que chacun, des auteurs et experts aux meneurs de foules, devrait apprendre davantage avant de porter un jugement ou de provoquer une émeute."
The main outcome of this article is that in the Muslim world there is no formal interdiction to represent the Prophet, that many images of Mohammed have been produced, and are still being produced, but under certain circumstances and in certain contexts. And even if they exist, these images are rare and there is no reason whatsoever to start agitating the whole world or rising people against each other.

* Ce débat reviendra notamment en Europe lors de la Réforme et divisera le monde chrétien entre Catholiques et Réformés/Luthériens, ces derniers s'opposant entre autres au culte des Saints et à la présence de statues et d'icônes dans les temples.
* The debate about the worship of Saints or the presence of statues and icons inside churches will be raised later in Europe during the Reformation, and will be one of the main reasons for the split between Catholics and Protestants.