dimanche 5 juin 2016

Méfiez-vous des rêves que vous poursuivez ! // Be careful with the dreams you chase!

Je suis une grande rêveuse, et bien souvent mes rêves surpassent en beauté et en profondeur le quotidien. Dans mes rêves, je vois différents mondes colorés, chaleureux et mouvementés, où tourbillonnent les idées, où virevoltent les émotions. Dans mes rêves, il ne pleut jamais et si le vent souffle, c'est pour amener les amoureux frileux à se blottir l'un contre l'autre. Dans mes rêves, les gens meurent parfois, mais bientôt la cassette se rembobine et la vie reprend du début : les bons moments reviennent inlassablement, les mauvais également, car les uns se nourrissent des autres.

J'ai rêvé d'autres choses aussi. Par exemple d'une vie paisible passée à quitter la maison au petit matin, à pied ou à vélo, pour aller retrouver les collègues de l'usine, travailler dur pour un jour passer cadre, me satisfaire des bons comme des mauvais chefs (a-t-on vraiment le choix ?), déjeuner à la cantine et rentrer le soir m'occuper de ma famille, pour laquelle j'ai bâti de mes propres mains une grande maison. Ce rêve, je l'ai porté longtemps et il est encore présent dans une petite partie de moi. Seulement, je ne pouvais le faire mien car il ne m'appartenait pas ; ce rêve, c'était celui de mon père, et lui seul l'a réalisé. Je lui dois néanmoins l'obtention d'un diplôme d'ingénieur et un poste dans une compagnie internationale.

J'ai également rêvé de donner des conférences et d'animer des formations sur un domaine dans lequel j'étais devenu tellement pointue que l'on y associait mon nom dans les conversations, de présenter avec charisme et compétence des sujets ardus que je suis l'une des rares à maîtriser avant de retourner m'asseoir sous les applaudissements de mes pairs. Ce rêve aussi, je l'ai porté longtemps et je peine à m'en séparer. Parce que celui-là non plus ne m'appartenait pas ; ce rêve, c'était celui d'un homme que j'ai aimé profondément, plus que de raison sans doute, et lui seul l'a réalisé. Je lui dois néanmoins le choix d'être réintégrée aux équipes travaillant depuis la France et la décision de prendre racine en spécialité.

L'erreur que j'ai faite dans chacun de ces deux cas est de confondre le métier et la personne, de croire qu'il me suffirait de suivre le même chemin pour à mon tour rayonner comme eux, de me laisser aveugler par mon admiration au point de me convaincre que ce qui avait marché pour eux marcherait forcément pour moi. Et qu'alors je deviendrai... eux ! Or ce n'était pas le poste qui avait fait d'eux ce qu'ils étaient, mais l'inverse. Et l'exemple de ma mère qui n'a pas pu vraiment "choisir" sa carrière et s'est retrouvée de surcroît lestée des tâches subalternes de la maison m'est revenu en tête, avec toute sa simplicité et sa composante humaine. Voici un exemple que je m'étais bien gardée de suivre ; car qui rêverait d'une carrière ingrate et peu valorisée ? Pourtant, tout dépend du point de vue, et aujourd'hui je vois dans son dévouement sans faille une preuve de son amour inconditionnel pour nous. De plus, nous ne rêvons pas tous de la même chose : pour certains, le bonheur est synonyme de vadrouille ou d'excitation, pour d'autres il s'appelle sécurité de l'emploi.

Alors pourquoi est-il si difficile de s'affranchir des rêves des autres pour travailler à concrétiser ses propres rêves ? Pourquoi nous laissons-nous si facilement aller à embrasser le rêve de ceux que nous aimons, alors même que ce n'est pas là la voie qui nous épanouira ?

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I'm an endless dreamer. My dreams often go way beyond the daily life in terms of beauty and depth. The universes I dream about are colorful, welcoming and moving, full of swirling ideas and flitting emotions. In my dreams, it never rains and if the wind blows, it's only to make the lovers cuddle up and protect each other from the cold. In my dreams, people sometimes die, but soon after the tape rewinds and life starts again: good memories never stop coming back, and so do bad memories, as both good and bad belongs to the same soul.

There are other things I dreamed about. For instance, a peaceful life where I would leave home at sunrise, running or cycling, go to the factory to join the colleagues and work hard to get a raise and climb step by step the social scale, where I would also cope with good and bad bosses, eat at the canteen and in the evening go back home and take care of my family. The large house I built with my bare hands would be a testimony of my love for them. This dream has long been a part of me, and in a way it's still there somewhere. But I wasn't entitled to make it my own because it's not mine; this dream was my father's and only he fulfilled it. By following his dream, I studied to become an engineer and got a position in an international company.

I also dreamed about hosting conferences and animating trainings on a subject I was so good at that each time someone was talking about it, my name came into the conversation; I dreamed about presenting and discussing with charisma and expertise challenging subjects only few people mastered before going back to my seat to thunderous applause of my peers. This dream has also long been a part of me, and I have troubles getting over it. Because once again I wasn't entitled to this dream; it belonged to a man I deeply loved, may be too deeply to be reasonable, and only he fulfilled it. By following his dream I got myself assigned back to France and expressed a will to engage into a specialist career in my company.

In both these situations, I did the same mistake: I mixed up the people and the job, believing that it would be enough for me to follow the same path to end up shining as they did. I got blinded admiring them and finally convinced myself that what had worked for them should obviously work for me. And that at the end, I'd almost become........ them! Unfortunately it's not that simple: the job wasn't the reason for them to be the way they were, it was the other way round. And the example of my mother, so simple and human after all, came back to me. She hadn't really had a choice for her career and after getting married she started to fill up all the chores both at home and outside, ending up so heavily loaded that I was wondering how she could still manage to find two minutes to breathe. This was typically an example I intended not to follow; honestly who would like a thankless and low-payed mother and worker career? But today I see it differently, because it really depends on your point of view, and I'm very grateful today for her lifetime dedication and boundless love for us. Moreover, we don't all dream about the same life: for some of us, happiness equals exciting and adventurous jobs, for others it means getting life-employment in public services; who can be the judge of that?

Nevertheless, why is it so difficult to free ourselves from the dreams of others and start working on realizing our own dreams? Why is it so tempting to embrace the dreams of the people we love, even though we know deep inside that it won't make us happy?

2 commentaires:

  1. Pour nous garantir d'être aimée en retour! Si je me réalise en utilisant les codes (rêves) d'un autre, je me rapprocherai le plus possible de sa considération et de son intérêt pour moi. Je pense que nous avons du mal à nous détacher des rêves des autres par peur d'être abandonné ou de ne pas être aimé par eux. Par peur également d'être soi et que ce soi soit critiqué, ou jugé par l'autre... Peut être même que nous avons peur de nos propres rêves !! Avec cette remise en question permanente de leur légitimité...Un peu comme si nous n'assumions pas ce que nous sommes par peur de décevoir notre propre monde ! Pourquoi est-il si éprouvant d'être soi même? pourquoi est-ce si effrayant? Nous sommes des êtres sociaux.. Dans certaines situations l'Histoire nous a peut être bien appris qu'il vaut mieux copier une société et ses rêves, plutôt que de risquer d'assumer les siens.. La société ne laisse que peut de place à certains types de rêves (je pense surtout à ce qui n'est pas rentable, productif..) !! Alors peut être qu'en fin de compte, en mettant au premier plan les rêves des autres, et en s'oubliant un peu, beaucoup et parfois même passionnément, on survie ... enfin.. on essaye ! Jusqu'au moment où, on aura trouvé la solution, on aura trouvé comment faire cohabiter ses propres rêves avec notre propre survie. Jusqu'au moment où nous n'aurions plus rien à perdre.

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  2. Merci Elodie pour ton commentaire et tes explications, si claires comme toujours. Tu as raison, nous avons tendance à préférer l'adhésion aux rêves de nos proches parce qu'on les aime et qu'on veut partager quelque chose avec eux, et parce que sur le long terme on a peur de les perdre si l'on n'a plus de projet en commun (je ne crois pas être la seule à vivre dans la peur constante de perdre mes proches).

    Je trouve que cette constatation fait froid aux yeux : quand on commence à dérouler la pelote, on ne sait pas jusqu'où l'on va remonter et ce qui va ressortir comme bilan d'une vie, ou d'un début de vie. Et quand on sait combien l'héritage émotionnel est facile à transmettre aux générations suivantes, on ne s'étonne plus de retrouver ce mélange entre nos rêves inassouvis et ceux des autres, et ce depuis l'enfance.

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