vendredi 17 juin 2016

Les nuits poétiques de Youness // Yunus' poetry nights : Anvari

Si Youness m'a suggéré de présenter Anvari aujourd'hui, c'est parce qu'il s'agit du poète préféré de sa bien-aimée et par conséquent de l'un de ceux qu'il aime le plus lui chuchoter à l'oreille le soir. Il se trouve que j'aime moi-même énormément Anvari. Ne cherchez pas, c'est moi qui ai rédigé l'article wikipedia le concernant.
It's no wonder Yunus suggested me to introduce Anvari to you today, as he's the favorite poet of his beloved and therefore one of the poets Yunus often recites to her at night. In fact, I love Anvari too, so don't be surprised: I'm the author of the French wikipedia article related to him.

De son vrai nom Awhad-od-Dîn 'Ali Ibn Mohammad Kharavani Abiverdi, Anvari est incontestablement l'un des plus grands poètes perses de tous les temps : sa renommée vaut celle du grand Motanabbi dans le monde arabe. Il est avant tout connu pour ses éloges ou panégyriques, le genre prédominant à son époque, et pour la richesse et la complexité de ses textes. [1] Selon Jami*, Anvari était le maître incontesté des qacîda**, Saadi*** celui des odes et Ferdowsi**** celui de la poésie épique. [3] Les siècles suivants sa mort, de nombreux poètes firent référence aux vers et aux récits d'Anvari : l'un des plus éminents fut sans doute le mystique Rumi***, dont je vous parlerai prochainement.
Awhad-od-Dîn 'Ali Ibn Mohammad Kharavani Abiverdi, more commonly known under the Talralloç (pseudo) Anvari, is indisputably one of the greatest Persian poets ever: his reputation equals Motanabbi's in the Arab world. He's above all famous for his eulogies or panegyrics, which were very popular styles at that time, as well as for the complexity and sophistication of his works. [1] According to Jami*, Anvari was unquestionably the master of qacîda**, Saadi*** the master of odes and Ferdowsi**** the master of epic. [3] Many poets referred to Anvari's verses and tales centuries after his death: one of the most famous is the mystic Rumi***, which I'll soon introduce you to.

Anvari naquit près d'Abiverd, dans le Khorâsan (d'où son nom : Abiverdi). Cette cité qui a aujourd'hui disparu serait située au Sud de l'actuel Turkménistan, près de la frontière avec l'Iran. Par le passé, elle a connu son heure de gloire en raison de sa situation stratégique au milieu de plaines fertiles et au carrefour de routes commerciales. Mais son déclin s'est amorcé avec les invasions mongoles (Genghis Khan à partir de 1221) puis ouzbekes (à partir du XVIe siècle) et enfin sous Nadir Chah qui la fit raser vers 1730. En 1126 néanmoins, lorsque naquit le poète, la ville était prospère et attirait les convoitises. [4]
Anvari was born near Abiverd in Khorâsan (that's why he's called Abiverdi). This city doesn't exist anymore but should be located south of today's Turkmenistan, close to the border with Iran. In the past, Abiverd was wealthy mainly because of its position in the center of a fertile area and at the crossroads of trading paths. But it started to decline due to Mongol invasions (Genghis Khan&Sons from 1221), then Uzbek invasions (from the 16th century); eventually the city was destroyed at the request of Nadir Shah around year 1730. However, at the time Anvari was born (1126) Abiverd was flourishing and was gazed at with longing. [4]

A l'instar de nombreux intellectuels du monde arabo-musulman, Anvari était à la fois mathématicien, astronome, scientifique et poète. Il fit ses études au collège de Tus puis mena une vie besogneuse jusqu'au jour où l'une de ces qacîda* attira l'attention du Sultan Sandjar qui le prit sous sa protection. Anvari abandonna donc les sciences pour se consacrer à la carrière nettement plus lucrative de poète de cour. [2] Notons toutefois que c'est précisément grâce à l'étendue impressionnante de sa culture dans des domaines variés qu'il put se hisser à un tel niveau de maîtrise de son art. En effet, un poète de cour à cette époque ne devait pas seulement connaître sur le bout des doigts les poètes antiques et contemporains, et maîtriser la technique excessivement complexe employée dans les panégyriques de cour, ce qui en soi constituerait déjà un exploit. Il devait en outre être capable d'improviser de manière novatrice et attrayante sur n'importe quel sujet, comme la médecine, l'astrologie, les sciences de la religion, mais aussi les passe-temps de l'époque : le tric-trac, les échecs ou le polo. Anvari excellait manifestement dans cet art et était même trop doué pour être un simple poète de cour ; certains de ses vers témoignent qu'il en avait parfaitement conscience. [3]
Like many of the famous intellectuals from the past Arab world, Anvari was a poet but also a mathematician, an astronomer and a scientist. After completing his studies in Toon, it took him some time to be recognized; after one of his qacîda* drew the attention of Sultan Sandjar on him, Anvari finally got a sponsor and gave up science to dedicate himself to the better paid career of a court poet. [2] Note that if he managed to rise at such a high level of expertise in his art, it's partly because his knowledge was very large on many subjects. At that time indeed a court poet couldn't just have learned antic and contemporary poets and master the extremely complicated technique used in Persian court panegyrics, even if it already would be a challenge. He also had to improvise in an original and exciting way on any occasion, and be versed in medicine, astrology, sciences of religion, but also in pastimes such as backgammon, chess or polo. Anvari did obviously excel in his art and he was even too talented to be just a court poet; in some of his verses, he acknowledges he was perfectly aware of it. [3]

Lors de la captivité de Sandjar, Anvari composa son élégie la plus célèbre : "Les larmes du Khôrassan", qui raconte la destruction de la région par les Ghozz, qui pillèrent la ville de Merv et massacrèrent les habitants de Nichapur en 1154. [3] Après la mort de Sandjar en 1157 il vécut très probablement à la cour des princes de Merv, avant de tomber en disgrâce pour avoir annoncé, par un calcul astrologique, un orage un jour qui se révéla parfaitement calme. [1] Il vécut alors à Nichapur puis, une vingtaine d'années avant sa mort, abandonna définitivement la poésie de cour. Il décida alors de se retirer  du monde et de vivre dans la contemplation soufie ; c'est ainsi qu'il finit ses jours à Balkh en 1189. [2]
During the captivity of Sandjar, Anvari composed his most famous eulogia "The Tears of Khorassan", which relates the destruction of the area by the Ghizz, who plundered Merv and massacred the inhabitants of Nichapur in 1154. [3] After Sandjar's death he presumably moved to Merv court, before falling from favor because he predicted with an astrological calculation that a storm would happen and the day was finally perfectly quiet. He moved to Nichapur then twenty years before he died he decided to give up poetry and retired from the court: so he spent the rest of his life living as a Sufi in Balkh, where he died in 1189. [2]

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1. [1]
Qu'est donc l'amour ? C'est subir des épreuves ; c'est faire connaissance avec peine et chagrin, sentir la pointe de la dague du destin, se transformer en une cible pour sa flèche ; c'est ne plus s'occuper de tous les autres liens quand on s'est mis au pied le lien de l'être aimé ; et c'est pour la durée de toute l'existence, sous le pied du malheur que cause l'être aimé, resté courbé comme le bout de ses cheveux ; c'est être devant lui simple atome dans l'air lorsque s'est dévoilé le soleil de sa face ; c'est consentir à toute espèce de tourments ; c'est renoncer à toute espèce de pouvoir ; et c'est lui demeurer obstinément fidèle, fussiez-vous malmené par cent vexations ; c'est servir au moulin de pierre inférieure, si même cet amour doit vous moudre les os.

2. [1]
En voyageant, l'homme s'instruit ; il y gagne des dignités, y trouve un trésor de richesses ; le voyage enseigne talents. De ce pays où tu deviens méprisable aux yeux des humains, déménage rapidement pour aller vers un autre lieu. Si l'arbre pouvait se mouvoir et s'en aller de place en place, il ne subirait les offenses ni de la soie ni de la hache. Vivant dans sa ville natale, l'être humain reste sans mérite ; lorsqu'elle est encore dans la mine, la gemme n'a pas de valeur. Il faut que tu regardes bien l'état de la terre et du ciel : si l'un demeure immobile, l'autre sans cesse est en voyage.

3. [1]
L'étendard de ta beauté a surpassé la lune ; ton injustice envers mon cœur a passé la mesure ; le feu de la séparation a dévoré mon âme ; l'ennui que je sens loin de toi a submergé ma tête ; ce qui passa d'amour, hier soir, sur ton esclave, ne passera jamais sur aucun des amants ; mes pleurs amers ont mis le trouble dans le monde, et plus haut que le ciel s'est élevée ma plainte. Ton image, hier soir, à moi s'est présentée, et mon œil répandit des perles à ses pieds de sorte qu'en passant elle foulait des perles. Mes pleurs ont surpassé le rubis en rougeur ; et ma face est encore plus pâle que l'or jaune.
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1. [3]
O morning breeze, when you pass by Samarqand,
Bring the letter of the people of Khorassan to that Sultan!
(From "The Tears of Khorassan")

2. [3]
I wrote ghazal [love poems] and praise song and satire only, friend,
Since lust and greed and anger were all too strong in me:
That one remained all night long in grief immersed and thought,
How to describe the tresses, the curls, the lips so sweet;
The other one was toiling away all day in pain, all night:
Whence, how, from whom and whether some pennies to obtain.
A tired dog the third one, whose consolation is
To find somebody's weakness and to abuse him then.
Since God has these three hungry, these dogs - far may they be! -
Turned from me in His mercy and made poor me now free,
How could I sing a ghazal, a satire or a praise?...

3. [3]
The water of the eye and the fire of the heart carried away the pleasure of my soul
As a sharp wind carries straw from the surface of the dust in the wasteland.

4. [3]
When your hand fills the cloud with the water of generosity,
The hand of the plane tree breaks from [the weight of the] silver.


Une petite anecdote pour conclure. Anvari était aussi un amateur de vin ; un jour il fut dans l'obligation de s'excuser en vers après avoir vomi lors d'un banquet alors qu'il était ivre !Let me finish with a funny story: Anvari was a man who liked a glass of wine; one day, he had to apologize in a poem for getting drunk and vomiting at a party!

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Notes
*          Jami (Nur ad-Dīn Abd ar-Rahmān Jāmī): poète et mystique perse du XVe siècle Persian poet and mystic from the 15th century
**        qacîda: forme poétique originaire de l'Arabie Préislamique (avant 622), il s'agit en général d'une ode à un prince old Arabic form of writing poetry (popular before 622), usually an ode in praise of a prince or king
***      Saadi (Abū-Muhammad Muslih al-Dīn bin Abdallāh Shīrāzī) & Rûmî (Jalāl ad-Dīn Muhammad Rūmī) : poètes et mystiques perses du XIIIe siècle Persian poets and mystics from the 13th century
****    Ferdowsi (Abu'l-Qasim Ferdowsi Tusi) : poète et mystique perse du Xe siècle Persian poet and mystic from the 10th century


Sources
[1]     Henri Massé, Anthologie Persane. (French only)
[2]     https://www.createspace.com/4788942 (English only)
[3]     A. Schimmel, S. C. Welch, Anvari's Divan: A Pocket Book for Akbar, 1983 (English only)

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