lundi 22 juin 2015

Interdiction du port de la burqa aux Pays-Bas


Le Courrier International de cette semaine [1] revient sur l'interdiction début juin aux Pays-Bas du port de tout accessoire couvrant le visage dans les écoles, les transports publics, les hôpitaux et les édifices gouvernementaux ; cela englobe la burqa et le niqab mais également les casques de moto et les cagoules. Là-bas, comme en France, le débat a duré longtemps et a suscité de multiples controverses ; aujourd'hui encore les avis sont discordants, entre ceux qui crient à la discrimination des femmes choisissant de se couvrir, ceux qui rappellent que dans certains pays le choix n'existe pas et ceux qui s'inquiètent du cas d'une petite fille enlevée à la sortie de l'école par une femme qu'elle a pris pour sa mère, ne pouvant voir son visage. Notons toutefois qu'aux Pays-Bas, les femmes portant le voile intégral régulièrement sont au nombre de 150, contre 400 qui le portent de temps à autre ; [1] en 2013, il y avait 16.8 millions de Néerlandais, ce qui porte à 0.0027% la part des néerlandais/es portant au moins occasionnellement le niqab ou la burqa.

Dans nos sociétés occidentales, on peut se demander si porter le voile - en principe synonyme de modestie et de pudeur - n'est pas contre-productif, certaines femmes se faisant plus remarquer dans la mesure où leur habillement diffère grandement des standards des pays concernés. Si je ne prête pas spécialement attention aux différentes vestimentaires dans la rue, je capte néanmoins des regards dirigés non seulement vers les femmes voilées, mais également en direction de tous ceux qui dérogent au jean/T-shirt et osent des chapeaux, des dreadlocks, des clous, des couleurs flashy ou des boubous. Moi-même adepte des tissus congolais, je circule régulièrement avec des robes aux motifs chargés et bariolés et j'ai conscience d'attirer les regards, parfois condescendants, mais bien souvent curieux ou admiratifs. Ma motivation provient d'une double démarche : au Congo, je m'habillais à la congolaise pour me fondre dans la population (autant que ma peau blanche me le permet) et témoigner de mon intérêt pour la culture du pays ; en France, je le fais pour rappeler que j'ai vécu au Congo et amener un petit morceau de cette culture aux gens qui m'entourent. 

Ces considérations sont néanmoins purement esthétiques et je n'aurais pas de mal à prendre d'autres habitudes. Dans le cas du niqab ou de la burqa, la question est plus délicate car la dimension religieuse se superpose à la dimension vestimentaire. Laissons de côté le cas des femmes qui se voilent contre leur volonté, et prenons l'exemple d'une femme désireuse d'exprimer sa foi de cette manière. Je peux aisément comprendre que cette femme soit embarrassée si on lui demande de montrer ici en France ce qu'elle cache depuis de longues années aux yeux de tous ailleurs. Ce serait certes se conformer aux coutumes locales - il ne me viendrait pas à l'esprit de sortir tête nue en Arabie Saoudite - ou à la législation en vigueur, une manière de se fondre dans le paysage du pays hôte. Mais dans le cas de cette femme - ou par exemple d'un juif portant la kippa - cela irait à l'encontre de la spiritualité et des convictions profondes de la personne, qui appartiennent non pas au matériel mais à l'immatériel ; que le vêtement couvre ou non le visage, les cheveux, le corps ou les mains, le croyant affecte un poids symbolique à l'acte de le porter, avec lequel une législation ou tout autre peut difficilement faire contrepoids.

Je n'ai pas d'avis tranché sur la question de savoir s'il faut tolérer ou non le port du voile intégral. Je comprends parfaitement que certaines femmes choisissent de le faire, tout comme je comprends que certains soient mal à l'aise en croisant dans la rue des gens dont ils ne peuvent apercevoir que les yeux. Je comprends également qu'il faut lutter contre les discriminations dont sont victimes les êtres humains, hommes ou femmes, à travers le monde ; mais encore faut-il s'accorder au préalable sur ce qui relève de la discrimination et ce qui n'en est pas. A vrai dire, le problème du voile intégral me paraît bien plus compliqué qu'une simple réponse à fournir en mode manichéen, et je doute que l'on arrive à quoi que ce soit par la législation. Chaque loi ira en faveur de l'un ou l'autre des partis mais une chose est sûre : ce n'est pas une loi qui nous fera avancer vers plus de tolérance et de compréhension mutuelle.

Pour rester sur le thème de la compréhension mutuelle, l'article de Courrier International mentionnait également une artiste musulmane banglado-américaine, Ayesha Akhtar, qui est à l'origine d'un projet insolite, le Burqa Project, dans lequel elle a filmé tour à tour une dizaine d'hommes portant le niqab et s'adonnant à leurs occupations habituelles (promenade, cinéma, travail, déplacements etc.). L'objectif était de les inviter à se mettre à la place d'une femme dans les mêmes conditions et de recueillir leurs impressions sur la manière dont ils avaient vécu cette expérience et sur l'impact qu'elle pourrait avoir dans leur vie. Le site web du projet [2] rassemble des photos et les témoignages de chacun de ces hommes, dont plusieurs se sont avoués intimidés par les réflexions des passants ou les regards qu'ils attiraient. Un autre craignait de croiser une femme portant le niqab par conviction et de donner l'impression de lui manquer de respect en se "déguisant". Un autre encore s'est étonné de la spontanéité avec laquelle une dame s'est jointe à une conversation sans paraître remarquer le niqab ; il s'est aussi amusé d'avoir reçu un "bonne journée madame" à la sortie d'un magasin. Un dernier insiste sur la chaleur et la soif intenses dont il a souffert en circulant à roller dans un parc fréquenté. Tous reconnaissent néanmoins le caractère original et introspectif de cette démarche artistique.

Pour terminer, je souhaitais citer les propos d'un pasteur néerlandais qui s'exprime dans le quotidien Trouw et craint que l'interdiction du port de la burqa et du niqab "ne soit un outil de répression qui ne favorisera pas l'échange". Il rappelle que "créer une communauté pour vivre ensemble, c'est un travail de longue haleine. Or notre société manque souvent de patience et cela mène à des interdictions". [1]
Serions-nous dans une société de l'immédiateté, où l'important est de décider maintenant des grandes orientations pour demain sans vraiment de recul sur les conséquences de nos actes ? Privilégions-nous le confort présent à l'envie de progresser dans le futur ? Et avons-nous encore vraiment confiance en l'avenir ?

Mes sources:
[1]     Courrier International H1285, page 14
[2]     http://www.theburqaproject.com, site anglophone

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