mardi 30 juin 2015

"J'aime bien le 64 car on y prend le temps"

Sous ce titre un petit bébête se cache une réflexion que je me suis faite récemment: j'aime bien mon petit coin de Béarn, j'aime le pays basque, j'aime l'endroit où je me suis installée, même si mes origines me ramènent très loin d'ici.

Il se trouve que j'apprécie d'entrer dans la supérette près de chez moi et de passer un quart d'heure à tailler une bavette avec le gérant parce qu'à force d'y venir plusieurs fois par semaine on finit par créer des liens. Pareil chez le marchand de journaux, la pharmacienne, la boulangère, le gardien du parking, le facteur et les pépé-mémés du marché local. En week-end sur la côte, j'aime discuter le bout de gras avec le patron de café chez qui je m'arrête prendre un verre ou les propriétaires de l'hôtel où je dors. A chaque fois, c'est une expérience enrichissante, on apprend quelque chose ou l'on se change les idées, et souvent on en ressort de meilleure humeur. Un peu partout en France, on peut faire ce constat : nous vivons dans un pays où il fait bon "prendre le temps".

Cette impression qui s'exprime de manière aussi enfantine que "J'aime cette région, les gens sont gentils !" correspond à une vision optimiste des rapports humains qui contraste avec la plupart des histoires rapportées dans les médias. C'est un fait, la gentillesse, la courtoisie, l'honnêteté, ce n'est pas très vendeur, ou du moins c'est loin d'être ce qui fait vendre le plus ! Quel paradoxe ! Serions-nous ainsi habitués à une vie si douce et si agréable que nous ne nous rendons même plus compte de la chance que nous avons lorsque nous faisons de belles rencontres ou vivons de bonnes surprises ? A en croire un certain marasme généralisé, on dirait plutôt le contraire. Serait-ce alors que nous ne faisons pas assez attention aux marques de déférence ou de bienveillance des personnes que nous rencontrons ? C'est possible, et plus la ville est grande, plus l'on a tendance à considérer que celui qui sourit va nous réclamer de l'argent et que celui qu'on aide va nous chier dans les bottes la minute après ! Statistiquement il y a sans doute un fond de vérité, mais en réalité il suffit d'une mauvaise personne au mauvais moment et au mauvais endroit pour que cela dégénère, on ne peut pas généraliser.

Alors quoi ? Je crains que la réponse ne soit plus simple encore : nous passons à côté de belles rencontres car nous n'avons ni le temps ni la disponibilité intellectuelle ou émotionnelle pour les provoquer ; car nous hésitons à entamer une conversation de peur qu'elle s'éternise et ne nous mette en retard sur un planning qui bien souvent n'engage que nous ; car nous ne sommes jamais vraiment présent au monde qui nous entoure - et je ne parle pas spécifiquement de l'usage quotidien des téléphones et tablettes en société ; car nous sommes constamment dans nos pensées, dans nos souvenirs et nos projets à venir. En somme, nous passons à côté de petits cadeaux du quotidien parce que nous avons pour la plupart de grandes difficultés à vivre et goûter l'instant présent, dans sa simplicité et sa fugacité. Les enfants le font spontanément, puis en grandissant on leur apprend à prévoir, à organiser, à être "responsable", au final à vouloir tout planifier, tout contrôler. En entreprise, cette tendance est accentuée par le nombre sans cesse croissant de réunions d'avancement et de plannings prévisionnels demandés par la hiérarchie dans le but de se rassurer, de donner l'impression d'avoir une prise sur le temps qui passe. En couple, on planifie au mieux la date de conception des enfants pour coller avec l'entrée en crèche ou la mutation du conjoint. On entretient ainsi l'illusion que l'on peut Or, que l'on soit dans une mentalité polychrone (le temps est circulaire et ne se gagne ni ne se perd) ou monochrone (le temps est linéaire et bien délimité entre passé/présent/avenir), nul ne peut contrôler le temps ; on ne rattrape pas plus le passé que l'on n'anticipe le futur ; seul l'instant présent "existe".

Je reviendrai prochainement sur les concepts de lâcher-prise et de perception de l'instant présent ; les sources d'information sont nombreuses en la matière et le sujet de plus en plus en vogue dans nos sociétés malades de stress et d'anxiété. Moi-même, en proie régulièrement à de fortes angoisses ou doutes existentiels, je m'y penche assidûment pour y puiser la force de me battre contre tout ce qui me pollue et m'empêche de vivre pleinement ma vie. Mais s'il est bien une chose primordiale à rappeler aux adultes, c'est bien que l'on ne peut vivre sereinement sans avoir une réelle conscience de l'instant présent et la capacité d'en profiter pleinement. Comme le résume si bien un proverbe arabe: "Ce qui est passé a fui; ce que tu espères est absent; mais le présent est à toi."

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